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pays où la discipline de la raison se relâche. Voilà l’histoire, ou la constatation d’un équilibre toujours menacé entre les forces impulsives et les forces dirigeantes. Et voilà, en quelque manière, une loi de l’histoire. En quelque manière ! Et, d’autre part, il est agréable de noter que cette loi n’autorise aucune prophétie. Du moins, elle n’autorise aucune prophétie que conditionnellement. Elle nous engage à prévoir que, si la spontanéité vitale diminue, ou bien si la suprématie de la raison diminue, ceci arrivera, ou bien cela, en vertu de nécessités logiques et vivantes. Mais elle ne supprime pas l’importance des faits qui ralentissent ou déchaînent la spontanéité vitale, qui discréditent et accréditent la raison. Une philosophie de l’histoire qui tient compte des faits et de leur influence, qui ne prétend pas les éliminer et qui, même ne les réduit pas à illustrer docilement les lois de l’histoire, ô merveille ! Or, les faits, si nombreux et enchevêtrés, on n’aura jamais fini de les ranger en lignes de causes et d’effets, en lignes rigoureusement conséquentes. De sorte que, les faits et le hasard, si ce n’est pas tout un, peu s’en faut. Une philosophie de l’histoire qui ne croit pas avoir aboli le hasard prouve sa déférence honnête à l’égard de la réalité.


Une époque où l’ « impérialisme » s’est dangereusement émancipé : la nôtre. On le voit bien. Cependant, beaucoup de moralistes se plaignent de son esprit positif et qui les désole. Les moralistes se plaignent toujours ; et, le plus souvent, ils n’ont pas tort : ou ils ont tort de croire que leurs plaintes seront efficaces. Cette fois, ils se trompent. Notre époque n’est pas du tout positiviste : elle est mystique énormément. M. Seillière le dit et ne se trompe pas. Il le déplore ; non qu’il souhaite de voir éliminé tout mysticisme : il a noté que le mysticisme est le « tonique » indispensable de l’action. Mais il déplore que le mysticisme contemporain refuse les disciplines de la raison. Quelles seraient ces disciplines ? Celles que l’expérience des siècles continus a recommandées comme les plus salutaires. M. Seillière écrit : « Il convient de rallier aujourd’hui les bonnes volontés autour d’un mysticisme autant que possible dégagé de ses origines fétichistes et magiques, aussi rationnel en un mot que le comporte notre époque, la raison humaine étant soigneusement définie comme l’accumulation biohéréditaire, traditionnelle et individuelle des expériences, principalement des expériences sociales de l’espèce humaine… Nous devons, en d’autres termes, nous considérer comme les alliés d’un Dieu favorable, qui mène insensiblement