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de-ci de-là, dans les cantons le plus épars de l’histoire et de la pensée, sa panacée. Elle est injuste, si, négligeant ces jeux et prouesses, l’on examine la philosophie de M. Seillière en ce qu’elle a de meilleur et de très bon.

Quoi qu’il en soit de l’impérialisme et des sept propositions qui résument la philosophie de l’impérialisme, la philosophie de M. Seillière consiste à démêler, dans l’esprit humain, puis dans toute l’activité humaine, deux éléments, ou deux sortes d’éléments, les uns rationnels, les autres irrationnels ; laissons les mots philosophiques : les uns raisonnables, les autres déraisonnables. Or, je disais que le système de M. Seillière n’évitait pas tous les inconvénients d’une philosophie de l’histoire, mais en évitait quelques-uns. Il évite le principal au moins, s’il ne déroule point une histoire logique, pareille à un théorème que ses corollaires suivent. Il introduit dans l’histoire la déraison, comme l’un des principes de l’activité humaine. Et c’est un grand soulagement pour qui regarde avec simplicité l’histoire et se désole de n’y point trouver du tout cette régularité, cette obéissance à des lois évolutives ou autres, que la plupart des philosophes de l’histoire y découvrent à leur gré. Il y a de ces miroirs où se fait une image déformée de l’objet qu’on leur présente ; et il y a de ces miroirs à mille facettes qui éparpillent une image : on pourrait aussi fabriquer un miroir qui, d’un chaos, tirerait une image symétrique et ordonnée. La plupart des philosophies de l’histoire sont des miroirs de cette dernière sorte : vous leur présentez l’immense catastrophe du genre humain ; elles vous rendent un jardin de Le Nôtre. Loué soit M. Seillière, qui n’a point méconnu l’absurdité humaine et le désastre de la raison dans l’histoire !

Mais alors, n’est-ce pas renoncer à toute philosophie de l’histoire, ou peu s’en faut, si la philosophie de l’histoire est, à ce qu’il semble, la recherche de la raison dans le hasard des événements ? Aucunement. M. Seillière ne dit pas que l’esprit humain ne soit que folie, et l’histoire une perpétuelle anecdote de folie. Pour lui, ou je me trompe, l’histoire est la lutte indéfinie de la folie et de la raison. La lutte des fous et des gens raisonnables ? Non. Les uns et les autres ne sont pas si nettement séparés. La déraison toute seule irait à sa destruction ; mais la raison toute seule n’est rien. La raison n’est qu’une discipline imposée aux spontanéités vitales des individus ou des collectivités. Elle n’est rien, si elle n’a rien à discipliner, et les spontanéités vitales, ou l’impérialisme, ont besoin de cette discipline. Il y a des époques et des pays où la vitalité manque ; il y a des époques et des