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chaude du mois d’août, où l’on voyait courir sur le ciel les grands bras lumineux des projecteurs, qui semblaient vouloir entr’ouvrir les nuages pour y trouver les menaces cachées. Que d’autres images, aussi belles, aussi poignantes, dans le livre de l’histoire de Paris ! Paris sous la menace ; vide de tous ceux qu’y amenait seulement le plaisir, libre, spacieux ; presque sans mouvement, sans autre mouvement que celui des autos militaires glissant à travers les rues silencieuses ; se recueillant dès que venait le soir ; grave, mais non pas triste…

Autre particularité qui nous surprend : presque tous les dialogues sont écrits en français. Ce français est correct en général ; mais il manque de cette allure aisée qu’un étranger, si au courant qu’il soit de notre langue, atteint difficilement. Les mots d’argot ont toujours l’air d’être amenés. De même qu’il ne veut appartenir à aucune école littéraire, M. Guido da Verona a horreur d’un style classique, fondu ou simplement uni. Non pas du tout par négligence, car il lime ses phrases, les corrige jusqu’à cinq et six fois, les reprend, d’édition en édition, mais par une volonté bien arrêtée, il est « moderniste. » Il est tout heureux de taquiner les puristes et d’entendre leurs cris d’horreur devant ses néologismes. Il lui plaît de rompre avec la tradition, de réagir contre le culte des mots, et d’exprimer sa pensée sous n’importe quelle forme, pourvu qu’elle lui paraisse juste et pittoresque. Cette fois, il est allé jusqu’au français pur et simple, voire plus simple que pur. Voyez le cas embarrassant où il s’est mis : les lecteurs italiens ne sont pas contents, et les critiques français font les difficiles.

En français donc, Mimi Bluette s’entretient avec les clients de la grande Rouquine ; elle est retournée par caprice au bar qui vit ses débuts, et elle y soupe. Or ce soir-là, l’amour entre dans sa vie. « Elle avait cheminé à travers le vice ; elle était le vice ; mais il semble que rien de tout cela ne lui fût entré jusqu’au cœur… » Son cœur, encore naïf dans la dépravation de sa chair, s’éprend ; elle aime éperdument, sans calcul, sans égoïsme ; plus rien n’existe pour elle, ni ses richesses, ni sa danse, ni Paris, qui l’idolâtre ; plus rien n’existe que son grand amour. Elle aime un homme mystérieux, qui a été ballotté par tous les flots de la vie, dont elle ignore le passé, et qu’elle ne connaît que sous le nom familier qu’elle lui donne : Laire. Un jour cet homme disparaît.

Les pages où nous voyons Mimi Bluette, exaltée, éprouvée par la passion, qui cherche, qui souffre, qui se désespère, sont fortes et belles. Laire, ayant épuisé ses dernières ressources, et ne voulant