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Paris qui s’amuse. Le bar de la Grande Rouquine, par exemple, est un des endroits où il séjourne le plus volontiers. Aventuriers, tsiganes, boxeurs, alcooliques et morphinomanes, parasites se glissant aux tables des soupeurs riches et payant leur écot par un trait d’esprit, viveurs, escrocs et filles : il ne nous fait grâce de rien. Les plus moraux sont encore les danseurs, parce qu’ils ont au moins un métier avoué, et une manière d’idéal : jugez du reste.

Cette première partie du roman (nous verrons que la seconde est fort différente) est pittoresque et haute en couleur : elle a le tort d’être attardée. M. Guido da Verona, qui aime passionnément Paris, est le premier à s’en rendre compte. Entre le moment où il a écrit et celui où il a regardé, il y a eu la guerre. « Aujourd’hui, » écrit-il à la fin de son roman, « il n’y a plus que des mitrailleuses qui chantent… » Il estime même, par un sentiment de modestie qui nous aurait épargné bien des pages niaises, si tous les écrivains l’avaient eu au même degré, qu’il ne doit pas parler des événements contemporains, parce qu’il faudrait, pour ce faire, un génie qui n’est pas encore né. Il se déclare indigne d’un si grand sujet. « Si j’étais capable de produire quelque chose comme la Guerre et la Paix, j’écrirais sur la guerre. Autrement, non. » Et puisqu’il plaide les circonstances atténuantes, accordons-lui celle-ci : ce qui permettra tout à l’heure à Mimi Bluette, partie d’un tel milieu, de s’élever, de s’affiner, c’est encore Paris : le grand Paris où tout est extrême, le bien et le mal, le vice et la vertu ; où tout est beauté, et où la beauté devient éducatrice : de sorte que, dans un certain sens, le livre tout entier est encore un hommage, et presque un hymne à Paris.

Tout de même, nous sommes habitués à d’autres visions. La véritable image de Paris, pour nous, est celle des jours anxieux de juillet 1914 : l’attente des événements redoutables ne suspendant pas la vie ordinaire, mais lui donnant je ne sais quoi de grave et de digne ; tous les esprits, tous les cœurs unis déjà par le sentiment du danger ; dans les rues, les passants moins fébriles et plus recueillis ; les journaux dans toutes les mains, tous les yeux cherchant dans leurs pages humides encore le grand secret du lendemain ; et puis les petites affiches blanches collées sur les murs, et les groupes qui les commentaient. Ensuite le grand élan : sans clameurs, sans rien qui pût ressembler à une provocation ou à une vantardise, l’élan du peuple de Paris pour la défense de la France attaquée ; la foule aux gares ; les sifflets aigus des trains déchirant l’air ; ouvriers, bourgeois, étudiants, apparaissant tous sous l’uniforme des vieilles gloires ; et cette nuit