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dépêche arrive, tapée sur un papier pelure. Elle est remise au chef d’état-major. Le jour de l’offensive est, par excellence, le jour du chef d’état-major : recevant les bulletins, c’est lui qui les déplie, les absorbe d’un coup d’œil et en rend compte au général. « A partir de la première pelure remise au chef d’état-major, les pelures vont, toute la journée, se succéder. Il y a des moments où elles arrivent par paquets. Elles sont issues de tous les points du secteur où progressent les corps d’attaque, des divers postes de commandement de divisions, de brigades, de régiments… Ainsi un réseau constant de nouvelles relie l’armée en marche à ses propres organes et au commandement. Et pour le général une journée de bataille, ce n’est plus la caracolade sur le front, c’est la réception, l’emmagasinage, l’utilisation immédiate des centaines de renseignements qui affluent à son P. C. » Oui, encore une fois, le pittoresque est moindre : la beauté est aussi grande.

J’entends : la beauté morale. Ce qui a frappé M. Marcel Prévost, fixant son regard de psychologue sur le général Dégoutte, qui de son P. G. dirigeait la bataille, ç’a été cette maîtrise de soi qui est, à vrai dire, la qualité à laquelle on reconnaît un chef. « Qu’il fût ému, assurément ; mais quelle maîtrise sa volonté exerçait sur ses nerfs ! » Songez à la présence d’esprit, à la lucidité et à l’agilité de conception, à la sûreté de décision qu’il faut garder intactes, à tous moments et dans quelles conditions ! Songez aux responsabilités, vraiment affolantes pour qui n’aurait pas un sang-froid à toute éprouve ! Ce calme, c’est la première vertu indispensable à quiconque a sa part, si mince soit-elle, dans le commandement. Et c’est la vertu née de la guerre, créée par l’habitude du danger et par la volonté de vaincre. Admirons-la sans réserve chez nos chefs militaires et chez les officiers qui reflètent leur pensée, et sachons ce que nous lui devons. Nous lui devons qu’après quatre ans d’efforts acharnés et méthodiques, un déploiement de ressources inouïes et une folle dépense de ce qu’il appelle le matériel humain, l’ennemi soit moins avancé qu’il ne l’était après quatre semaines, aux derniers soirs d’août 1914.


RENE DOUMIC.