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« Pour motiver son acte de démence enthousiaste, il me fallut bien entrer dans les idées que ce jeune homme avait pu avoir sur l’oppression et l’avilissement de son pays, le despotisme du conquérant, sur le droit qu’un individu croit pouvoir s’arroger, etc. Toutes ces théories ne concluaient certainement pas à l’apologie du régicide. Mais j’avoue que, ne faisant pas un ouvrage politique ou philosophique, mais un roman pour amuser mes lecteurs, je leur laissais le soin d’absoudre ou de condamner les erreurs de Frederick Staab.

« Ce roman était fort avancé lorsque arriva l’explosion du complot de Fieschi. Alors les théories des Illuminés d’Allemagne, espèce de Tribunal secret qui s’était arrogé le droit de vie et de mort sur les hommes politiques, me parurent tout à fait hors de saison. Je n’ai pas plus songé à encourager l’application de semblables principes, que Voltaire n’y songea en écrivant la Mort de César ou M. Horace Vernet en faisant le tableau de Judith immolant Holopherne, etc.

« Mais du moment que des actes de ce genre passaient dans le présent, il devenait de mauvais goût de s’en occuper. Je fis part de mes répugnances à M. Buloz. Il convînt que ce n’était pas le moment de faire paraître ce roman, etc. »

Certes George Sand écrit : « Toutes ces théories ne concluaient pas à l’apologie du régicide, » et elle se défend d’avoir voulu faire cette apologie. Mais nous connaissons ses sympathies et l’admiration qu’elle exprimait si vivement pour Alibaud, après l’attentat de 1836, dans une lettre à F. Buloz, — « Alibaud est un héros, son nom sera mis dans l’histoire à côté de celui de Frederick Staab, etc. » — nous a renseignés.

Après l’aventure d’Horace, le nom de George Sand disparait des sommaires de la Revue pour un certain laps de temps, — à la vérité assez long : dix ans ; encore les relations d’auteur à directeur ne reprirent-elles véritablement qu’en 1858 avec l’Homme de Neige et grâce à l’intervention amicale d’Emile Aucante. Est-ce à dire que toutes relations furent rompues entre eux pendant la période où le nom de George Sand ne parut plus dans la Revue ? Non, et si leurs lettres, pendant les années qui suivirent 1841, sont moins fréquentes, la correspondance ne cesse jamais complètement.

D’ailleurs un événement cruel, un deuil, les rapprocha. En 1846, F. Buloz perdit son premier-né, « ce beau petit Paul »