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l’Empire, finit petit libraire sous la troisième République, et Gilland le serrurier, gendre du père Magu, qui mourut phtisique. Ce Gilland professait un socialisme évangélique, qui n’était pas sans beauté, et lisait saint Bernard dans sa prison ; d’ailleurs reconnaissant à George Sand et l’adorant, s’épuisant à faire des serrures pendant le jour, et de la littérature la nuit.

Chez George Sand et autour d’elle, ce fut un véritable engouement ; on se plaisait à découvrir le génial ouvrier, le nouveau Béranger, sorti du peuple une lyre à la main ; et George Sand, généreusement, écrit des préfaces aux Magu, Gilland, Poney, corrige leurs vers, etc. Devant ce délire, F. Buloz demeurait froid. Il ne partageait pas l’enthousiasme de la Reine et de sa cour, et estimait que le maçon n’avait que faire d’une plume ; puis l’introduction du bon prolétaire dans le roman, et les amours des Irène de Villepreux, lui paraissaient dépasser la mesure du bon goût. De jour en jour, les idées de George Sand s’écartaient de celles de F. Buloz.


Enfin, il y eut entre le directeur et le collaborateur, cette même année, un procès.

Il est certain qu’on aurait pu l’éviter, et que ces dissentiments auraient pu se terminer amiablement, sans l’hostilité de la cour qui entourait George Sand. Cette cour, Pierre Leroux en tête, eut sur George Sand une influence qu’elle se plut, d’ailleurs, à subir. « Ce philosophe social est, dit Henri Heine, pour George Sand, un directeur de conscience littéraire, une espèce de capucin philosophique. » Pierre Leroux, on le verra dans l’histoire de la fondation de la Revue indépendante, travailla de tout son pouvoir à séparer George Sand de F. Buloz et à exciter ses rancunes contre lui. Les autres amis de Nohant ne furent pas étrangers non plus à cette querelle, ainsi qu’en témoigne un avis dicté par Rollinat, et qu’on a lu déjà sur une lettre de George Sand[1]. Enfin, chacun donnait un conseil, et tout le monde, au lieu de l’éteindre, attisait le feu.

Nous ne pouvons faire ici l’exposé, forcément aride, de cette affaire. Disons seulement que le différend portait sur la propriété des œuvres de George Sand assurée naguère à Buloz et

  1. Voir lettre à F. Buloz, juin 1839.