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mille fois, toute discussion est ennuyeuse. Finissons-en et venez me voir. Si Buloz ne s’amende pendant son dîner à Nohant, je le régalerai de sa pendaison en effigie, avec sa Revue au cou, au plus bel arbre de mon jardin.

« En attendant, je me fais une fête de vous voir, avec votre cher enfant. Vous n’aurez pas beaucoup de peine à m’adoucir, d’abord parce que je n’ai rien à vous refuser. Ensuite parce que je suis l’offensé, et qu’il est plus facile, comme vous le savez, de pardonner les torts d’autrui, que de pardonner à autrui ses torts.

« C’est M. La Bruyère qui a trouvé cela, et qui le dit beaucoup plus élégamment.

« Au revoir donc, chère enfant, le plus tôt possible.

« A vous de cœur.

« GEORGE.

« Serez-vous assez bonne pour faire prendre chez Mme Marliani une caisse d’argenterie qu’elle doit m’envoyer, et qu’elle n’a pas voulu confier à la diligence ?

« Si c’est elle que Buloz flétrit du nom d’intermédiaire, je vous dirai qu’il a grand tort. Je vous ferai voir la lettre qu’elle m’avait écrite, et vous y verrez que loin de l’accuser elle le défend[1]. »


George Sand n’attachait donc pas d’importance aux duretés qu’elle écrivait à Buloz, et lorsque Mme Buloz s’en affligeait, elle ne faisait qu’en rire. Pourtant ces querelles de mots portaient de trop nombreuses atteintes à leur amitié, et F. Buloz s’en montrait blessé. Avec sa nature droite, il était dérouté par ces revirements, ces attaques, ces réconciliations inattendus. Il se méfiait aussi de la cour qui entourait George Sand à Nohant. Le 3 juillet 1839, à propos de Gabriel, il lui écrit : « La première partie de Gabriel est tout à fait charmante, je vous dis cela au risque de me faire traiter d’épicier par vous : c’est de votre bonne manière, quoi que vous puissiez dire. » F. Buloz gardait son opinion : il préférait les romans de George à sa philosophie, qui l’en blâmera ?

En juillet il est attendu à Nohant, avec tout son monde.

  1. Inédite.