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« Je ferai des pièces pour les Français, quand vous aurez perdu votre place, car vous êtes trop difficile.

« Embrassez Christine pour moi, je la plains d’être l’épouse d’un chacal d’Etuvie, — il y a autant de chacals en Etuvie, que de tigresses en Arménie[1]. »

Le 25 juin, F. Buloz réplique :

« Ma lettre vous a piquée, mon cher George ; tant mieux, j’aurais été trop malheureux de ne pas vous rendre une petite piqûre pour la blessure que vous m’avez faite. Vous le savez, je suis toujours sur la défensive avec vous. Mais quand on me mord trop vivement, je tâche d’égratigner.

« Or, si vous aviez votre dernière lettre sous les yeux, vous verriez que je ne vous ai adressé que des douceurs comparatif veinent.

« Avant de répondre à la partie positive de votre dernière lettre, je m’arrêterai à la partie littéraire. Je vous dirai d’abord que j’accepte bien franchement la leçon classique que vous me faites, à propos des mots tigresse d’Arménie.

« J’ai fait une balourdise, il est vrai, — c’est un souvenir presque effacé de Virgile, qui m’a fait mettre Arménie pour Hyrcanie.

« Mais je suis plus vieux que vous, j’ai la mémoire moins sûre ; vous avez des souvenirs plus frais de l’épopée latine ; cependant je vous ferai observer, et cela sans malice, que vous avez pris quinze jours pour rafraîchir votre mémoire.

« Je vous ai entendu bien des fois crier contre le pédantisme, vous lui donnez des coups d’étrivière à chaque occasion, et voilà que vous donnez dans le pédantisme. Je vais donc prendre exemple sur vous, et vous ne pourrez pas dire que je choisis mal mes maîtres. A propos des mots « Editeur écorché des Sept Cordes de la Lyre, » vous ne faites pas une balourdise moins grande que celle que je viens de reconnaître : j’ai voulu dire que la Musique de votre poème épique m’avait écorché les oreilles, que je n’y avais rien compris. Je me suis servi à dessein d’un terme musical, à propos d’une épopée musicale. Comment d’ailleurs vous étonner que je ne comprenne pas vos intentions philosophiques et fantastiques, puisque vous m’accordez si peu d’intelligence ? Mon opinion ne fait rien à l’affaire, je le sais, je

  1. Collection S. de Lovenjoul, inédite.