Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrible, il crachait toujours « le sang a pleines cuvettes. » Enfin, à Marseille, le docteur Cauvière le sauva et le remit momentanément sur pied. George Sand se plaignant de toutes ces tribulations s’écrie : « l’Espagne est une odieuse nation ! »


UNE BROUILLE S’ANNONCE

Au commencement de juin, George Sand est rentrée au bercail, c’est-à-dire à Nohant. La voici singulièrement irritée contre son directeur : ne lui a-t-il pas dit que « Spiridion a eu moins de succès que l’Uscoque et a été traité de mystique ? » Ne pourrait-elle lui donner autre chose avant la publication des Sept Cordes de la Lyre… ? Quelque nouvelle moins philosophique ?… Elle s’emporte ! S’il veut des nouvelles, qu’il « se réconcilie avec Balzac, ou qu’il attire F. Soulié à la Revue. » « Vous ne pouvez me refuser le privilège d’endormir vos lecteurs, quand vous l’accordez à d’autres moins anciens en titre à la Revue. Je vous demande la préférence sur Lherminier et compagnie… » Mais F. Buloz ne peut souffrir les Sept Cordes de la Lyre : il note sur la lettre que je viens de citer :

« Je n’aurais pas voulu l’insérer dans la Revue, je lui avais offert l’abandon de 5 000 francs pour ne pas publier ce pastiche. Il fallut céder… »

« Il fallut céder, » — car George Sand pressait Mme Marliani, de Nohant ; Mme Marliani était chargée du sort des Sept Cordes, en l’absence de l’auteur. — « Tenez ferme, chère amie, » écrivait ce dernier, « pour qu’elles soient insérées dans la Revue… Mais ne voyez-vous pas que notre Buloz hésite ; et recule, parce qu’il y a cinq ou six phrases assez hardies, et que le cher homme craint de se brouiller avec son cher gouvernement… ? Les abonnés aiment mieux les petits romans comme André et compagnie, qui vont également aux belles dames et à leurs femmes de chambre… J’espère que j’en suis sortie (de ce genre) pour toujours. Ne le dites pas à notre butor… Laissez gémir notre Buloz qui pleure à chaudes larmes quand je fais ce qu’il appelle du mysticisme, et poussez à l’insertion[1]. »

C’est Leroux qui, en l’absence de George, corrigea les

  1. Wl. Karénine, qui publie ce fragment (du 14 mars 1839), fait remarquer qu’il a été changé et tronqué dans la correspondance. Maurice Sand, lorsqu’il le publia, ne voulut sans doute pas laisser subsister les gracieuses épithètes dont le romancier gratifiait son ex-ami dans ses lettres.