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plus insidieuse précisément de ce qu’elle serait moins odieuse.

Ainsi l’Allemagne aurait, fait tout ce qu’elle a fait depuis le mois de juillet 1914 : elle se serait moquée de toutes les lois divines et humaines, de toutes les lois de la paix et de la guerre : la parole donnée et écrite, les serments, les traités, le droit, la Justice, la pitié, elle aurait tout renié, tout bafoué : elle aurait traîné sur la claie, condamné aux pires misères grandes et petites nations, belligérants et neutres, crucifié, humilié, effroyablement torturé tout homme et toute femme de ce temps jusqu’aux confins les plus reculés du globe ; elle aurait par sa barbarie, déshonoré la science même, chargé le génie d’horreur, ravalé la civilisation aux plus basses œuvres de la brute : et l’humanité n’aurait qu’à présenter à un baiser qui serait un dernier stigmate sa face sanglante et souillée ! Il ne faut pas dire : des vaincus, mais des esclaves même ne s’y résigneraient pas ; ni les vivants ni les morts ne s’y résigneraient. L’humanité ne peut avoir de paix avec l’Allemagne que celle qu’elle lui dictera, quand elle pourra la lui dicter, qu’elle le puisse quand elle pourra. Sinon, l’Allemagne lui aura dit : « La paix! » et elle n’aura pas la paix.

Elle ne l’a plus eue, du jour où il y a eu une Allemagne organisée selon les préceptes cyniques et perfides de l’État prussien. L’esprit de rapine et de corruption de tous les Frédérics et de tous les Guillaumes, le machiavélisme, si grossier qu’il en est une injure au machiavélisme même, de l’Antimachiavel couronné, cheminant par le marchand et par l’espion, l’a envahie et rongée comme une lèpre. Ce n’est pas seulement la force allemande qui travaille, mais l’intrigue allemande. La ruse et l’astuce, servantes et patronnes, institutrices et introductrices de la force. Ce n’est pas seulement sur le champ de bataille que l’Allemagne fait la guerre, et elle ne la fait pas seulement à ses ennemis déclarés. Ennemis les premiers, naturellement, mais neutres aussi, et amis eux-mêmes, il n’est pas une vie de nation qui lui échappe. Elle s’insinue et s’incruste dans le sang et dans la chair des peuples, guettant toute occasion, toute chance de les affaiblir, de les dissocier, de s’accroître de leur substance. Sa main est en tout lieu où il se fait du mal, où il se prépare une trahison. Le gouvernement britannique la montre pour la seconde fois dans les affaires d’Irlande. L’échec de l’insurrection de 1916 ne l’a pas découragée; elle a recueilli ou suscité de nouveaux Roger Casement, et elle les emploie aux mêmes besognes, suivant le même scénario ; débarquement d’émissaires et d’armes, apparition de sous-marins, diversions aérienne et navale. Là-dessus, la rébellion éclaterait, pendant que