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de l’erreur, de la gaffe commise. Il s’y prend à sa manière.

Le 6 février, il lui paraît bon d’envoyer, par l’intermédiaire et les bons offices de son ami, l’ancien secrétaire W. J. Bryan, une sorte de dernière leçon à son gouvernement. Du poste de T. S. F. de Sayville, il lui dicte les instructions qu’il doit suivre s’il veut encore faire un dernier effort pour éviter la guerre. Il ne s’en tient pas là. Il veut lui forcer la main. Deux jours avant son départ, le 12 février, il joue au ministre de Suisse, à l’excellent et malheureux Dr Paul Ritter, un dernier pire tour diplomatique qui a fait la joie de Washington, un peu celle de Berlin, et a coûté à l’infortuné ministre son poste et sa carrière.

Les choses se passèrent ainsi :

Le 12 février, au matin, le ministre de Suisse, diplomate de second plan, au caractère généralement effacé, parlant peu et non point par modestie, mais plutôt à cause de la lenteur de sa repartie et par défaut de brillant, fut aperçu, au Département d’Etat, l’œil singulièrement vif, le geste important, bombant la poitrine, le visage épanoui, l’air conquérant et fringant. Qui avait opéré ce changement ? On avait remarqué que M. le Ministre avait commencé de changer d’air et de prendre un ton d’autorité aussitôt après une entrevue que le comte Bernstorff avait eue avec lui et quand l’ambassadeur lui avait demandé de se charger, après son départ, des affaires de l’Allemagne. Cependant jamais le sentiment de son importance n’avait éclaté de façon aussi évidente, aussi radieuse encore que ce matin-là. On sut un peu plus tard d’où cette conscience de sa propre grandeur lui était venue et qu’il s’était présenté « au nom de Sa Majesté Impériale. » Il avait tout de suite pris le ton de mystère et de dignité un peu hautaine, qui, selon lui, devait donner plus de portée à ses paroles et il avait annoncé qu’il était chargé d’une importante proposition de la part du Kaiser. Il semblait très pressé de faire cette proposition, mais il devait avoir reçu des ordres très précis pour s’en taire encore, car, à son évident regret, il n’en dit pas plus ce matin-là.

Il attendit l’après-midi du même jour qui était un samedi et alors que les autorités étaient égaillées à la campagne et au golf. Suivant toujours ponctuellement les ordres reçus, il fit savoir aux journalistes accourus, et toujours se redressant, parlant bas, souriant par contrainte, comme il avait vu faire