Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/928

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

général Funston, il intimida les Mexicains, au moins pour un temps.

C’est alors que se produit le torpillage du Sussex.

Que ce torpillage ait été prémédité, décidé froidement par l’Allemagne contre l’avis de son ambassadeur pour « voir jusqu’où les États-Unis iraient, » il n’est plus guère maintenant permis d’en douter.

L’ambassadeur est à New-York quand la nouvelle éclate. Il rejoint aussitôt Washington. Interrogé sur l’événement et ses causes par ses amis les journalistes, il déclare d’abord sur le ton de bonhomie et de spontanéité qu’il prend toujours avec eux : « Je n’y puis rien. Mais comment d’ailleurs blâmer l’Allemagne parce que le Sussex a touché une mine anglaise ? » Son jeu, à l’heure critique, est celui de toujours : mettre d’abord l’opinion sur une fausse piste, innocenter l’Allemagne, désigner en même temps l’Angleterre comme la seule responsable ; donner en un mot aux passions le temps d’hésiter et de se calmer, ouvrir le champ libre aux hypothèses contraires, diviser s’il se peut les parties en deux camps et les exciter l’un contre l’autre.

Une fois encore et ayant prévu, ou connu, l’erreur, le blunder que son gouvernement va commettre, il se retire, se tait. En attendant que les choses soient au pire et que son gouvernement le prie enfin de prendre tout en mains et d’agir à sa seule guise, il se désintéresse du jeu, s’occupe ailleurs. Il s’amuse à mettre sur pied le fameux complot pour faire sauter au Canada le canal de Welland. Il approuve, dirige, au moins de ses conseils, une conspiration qui doit approvisionner de bombes destinées à les faire sauter en mer, les vaisseaux qui quittent le port de New-York avec une cargaison destinée aux Alliés. À bord du Friedrich der Grosse, détenu, et gardé sous séquestre dans le port, il fait installer, pour occuper les hommes, outre une station de T. S. F. d’un nouveau modèle, une véritable usine de bombes incendiaires et autres.

Il laisse ainsi passer, sans en ressentir aucune crainte, la première note du gouvernement allemand, qui produit à Washington le plus détestable effet. Il ne s’inquiète que lorsque sont saisis à New-York chez son homme de paille et agent, von lgel, les papiers et documents qu’il y a fait cacher. Sachant bien que si les papiers sont publiés, il y va cette fois pour lui