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nous a cédés, et force nous est de subir la situation à laquelle il n’est pas en notre pouvoir de rien changer. Que nous reste-t-il donc à faire ?… Le parti alsacien ne veut pas s’annihiler par une politique de pure rancune, ni se mettre à la remorque d’un parti rétrograde, éternel ennemi de tout progrès, qui, par d’habiles manœuvres et en flattant nos goûts naturels d’opposition, ne cherche qu’à exploiter nos regrets au bénéfice de ses propres intérêts[1]. » M. Schneegans avait pourtant été, avec M. Edouard Teutsch, l’un des signataires de la protestation de Bordeaux ; mais la passion anticléricale étouffait en lui tout autre sentiment. La seule vue d’une procession lui avait fait fuir la ville de Lyon, où il s’était tout d’abord fixé après la guerre : « Elle passa sous mes fenêtres, avec sa pompe brillante, ses litanies, son parfum d’encens, ses marmotages, ses sonnettes stridentes, — conte-t-il en une sorte de mémoire destiné à livrer à la postérité ce mémorable événement ; — aujourd’hui encore, je ressens la rage de huguenot qui s’empara de moi. J’ouvris ma fenêtre toute grande, je me mis au piano, et, le pied sur la pédale, je fis retentir sur cette sainte foule les accords pleins et graves du cantique de Luther : « C’est un rempart que notre Dieu ! Je chantai cet air comme un chant de défi indigné[2]. » Voilà ce qui valut au vaillant candidat de la protestation française dans la circonscription de Strasbourgville, M. Lauth, qui, bien que de religion protestante, marchait néanmoins en plein accord avec ses compatriotes catholiques, d’avoir pour concurrent « autonomiste » M. Schneegans.

Le parti socialiste, bien peu nombreux encore, crut devoir présenter, lui aussi, des candidats, habilement choisis d’ailleurs, non seulement pour ne pas froisser les sentimens intimes des Alsaciens et Lorrains, mais pour y déférer au contraire : les noms mis en avant étaient en effet ceux de Bebel et Liebknecht qui, durant la session de 1871, avaient eu le courage, au Reichstag, de s’opposer avec vigueur au vote ratifiant l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Toutefois, supposant aux candidatures des grands patriotes libéraux, Lauth à Strasbourg et Hœffely à Mulhouse, celles de Bebel et Liebknecht ne pouvaient que se heurter à l’indifférence des vrais Alsaciens.

  1. Le Temps, 15 janvier 1874.
  2. J. et F. Régamey, L’Alsace au lendemain de la conquête, 1 vol. in-16, Paris, 1912.