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Que l’ambassadeur d’Allemagne ait ou n’ait pas écrit ce billet à l’admiratrice dévouée et très tendre amie, qu’il possédait, pour les raisons du cœur ou pour les intérêts de l’Allemagne, dans la haute société de Washington, à la vérité il n’importe. Le fait assuré est qu’il aurait pu l’écrire. L’esprit, le style, surtout le despotique Je répété au début de chaque phrase, ou bien sont d’excellents pastiches, ou, mieux, lui appartiennent en propre. La copie du billet courut, on ne sait par quels soins, dès la rentrée d’automne, dans tous les salons de Washington. Tout le monde, naturellement, s’empressa de l’accepter pour vraie. Il n’est que juste d’ajouter pourtant que salons et chancelleries s’occupèrent plutôt alors du « potin » mondain contenu dans le document, que de sa portée diplomatique ou politique. Ce n’est pas la première fois que la curiosité aux aguets des coulisses de la vie mondaine l’emporte sur celle que provoque l’histoire elle-même.

Il faut bien se rappeler comment la situation se présentait pour l’ambassadeur d’Allemagne, pendant que se poursuivaient les révélations du journal The World, et l’extraordinaire traînée d’indignation qui se propageait dans tout le pays.

Les premiers documents, annoncés depuis quelques jours déjà par le Providence Journal, tout dévoué et depuis toujours aux intérêts de l’Angleterre, paraissent dans l’officieux journal The World, le dimanche 15 août. Dès le lendemain, la presse entière des Etats-Unis les reproduit, les éditorials les commentent. A Washington, et bien que toute la société et les trois quarts du monde diplomatique aient fui, à Newport ou dans les montagnes, les chaleurs torrides de l’été, la fièvre devient subitement intense. Les journaux tirent des éditions d’heure en heure. Chacun ajoute une information, un commentaire concernant l’un ou l’autre des personnages mis en vedette ou en cause. L’ambassade d’Allemagne est assiégée par les reporters qui, pour la première fois sans doute, trouvent portes closes. Les uns prennent aussitôt le train pour Newport où ils supposent que l’ambassadeur se trouve. Les autres s’arrêtent à New-York, se précipitent au Ritz-Carlton, où Bernstorff descend habituellement. Mais l’ambassadeur est, ici et là, invisible ou introuvable. On apprend par hasard que ses attachés militaire et naval, von Papen et Boy Ed, sont partis subitement pour prendre du repos, « quelque part » dans les Montagnes