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tout au tout. Les soi-disant empiétements de l’Angleterre passent au second et au troisième plan. Le patient travail de mine et de sape, exécuté par l’ambassadeur allemand, est brusquement à découvert et par-là même annulé pour un temps. L’opinion américaine est soulevée comme elle ne l’a point encore été, lors même de l’affaire de la Lusitania. La presse entière réclame d’un seul cri les plus sévères sanctions et le renvoi immédiat de l’ambassadeur allemand. Le département d’Etat, malgré sa traditionnelle réserve, paraît ému et laisse officieusement entendre que des sanctions nécessaires seront incessamment prises. On se répète que le Président est outré et décidé à agir. La position de l’Allemagne enfin est critique. Celle de l’ambassadeur ne paraît plus tenable.


UN COUP DE CRIMINELLE AUDACE

C’est alors que se produit l’atroce coup de théâtre, le périlleux et éhonté looping the loop diplomatique, qui d’abord semblera folie, mais dont tous les détails, tous les effets auront été prévus, pesés, réglés, acceptés d’avance, nous voulons parler du coulage sans avertissement du steamer de passagers l’Arabic.

Il n’est assurément aucun autre exemple dans l’histoire de la diplomatie qu’un ambassadeur, dans le plus extrême péril, ait pu se faire une arme — et quelle arme ! — de ce qui devait le plus sûrement porter le coup de grâce à sa cause et à celle de son pays, qu’il se soit servi de cette arme d’abord pour sa défense, puis pour menacer qui le menaçait ; qu’il l’ait manœuvrée enfin de telle manière que la situation de son pays et la sienne se soient trouvées, du moins pour un temps, rétablies, au sortir d’une aussi effroyable aventure.

Ce fut là ce qui s’accomplit pourtant au cours des deux dernières semaines du mois d’août 1915.


Je combats aujourd’hui la bataille de ma vie. Je suis dans la magnifique ivresse du beau risque. Je contemple l’avenir avec l’inébranlable confiance des forts. Je compte sur votre affection autant que sur le triomphe final.