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plusieurs ouvrages, notamment dans son Évolution de la Poésie lyrique, mais qu’il n’avait pas encore publiquement présentée et justifiée avec tout le luxe de preuves et d’exemples que comporte l’étude de tout un grand siècle littéraire. Cette définition, on pouvait jusqu’alors la trouver plus ingénieuse et plus spécieuse que véritablement fondée en raison et en fait ; on pouvait penser que la démonstration qu’en avait fournie Brunetière était trop systématique, qu’elle faisait plus d’honneur à sa virtuosité dialectique, à son goût des généralisations qu’à son observation patiente des faits, à son étude minutieuse et désintéressée des textes. Quand on aura lu les différents chapitres de son Histoire où il caractérise la personne et l’œuvre de Châteaubriand, de Lamartine, de Hugo, de Musset, de George Sand, de Sainte-Beuve et de Michelet, il faudra bien reconnaître que la formule rend très exactement compte de ce qui distingue la littérature romantique des autres périodes de notre histoire littéraire.

Une autre idée, chère à Brunetière, et qui, grâce à lui, va, selon toute vraisemblance, devenir l’un des lieux communs de la critique, c’est celle de la parenté qui existe entre notre école réaliste ou naturaliste et notre littérature classique du XVIIe siècle. Dès 1883, dans une conférence faite à la Sorbonne[1], Brunetière avait esquissé cette idée, très juste et très féconde, et il y était revenu souvent dans la suite, la précisant de plus en plus, et en tirant chaque fois de nouvelles conséquences. Il l’a reprise dans son Dix-neuvième Siècle, et il l’a illustrée des principaux faits et des principaux textes que l’histoire toute contemporaine lui fournissait en abondance. Cette théorie, connexe de la précédente, est l’une de celles qui, à mon gré, éclairent le plus profondément la nature propre du génie français. Si brillante qu’ait été notre littérature romantique, elle n’a été qu’une exception, qu’une parenthèse dans notre histoire. Livré à lui-même, n’obéissant qu’aux instincts profonds de la race, et sans rien répudier d’ailleurs des légitimes acquisitions antérieures, c’est vers une sorte de naturalisme classique que, tout naturellement, s’oriente l’esprit français.

  1. Le Naturalisme au XVIIe siècle, dans les Etudes critiques sur l’histoire de la littérature française, première série, deuxième édition et suivantes.