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vieille et féroce rivale, la ville de neige entourée de murs couleur de miel, où, il y a deux ans à peine, on massacrait encore les Européens.

Quelques instants après, le maître se retire, emmenant avec lui l’ami qui m’accompagne ; puis il revient, conduisant une jeune fille en costume arabe, mais dont la bonne figure rose et blonde proclame la parenté européenne. Le beau-frère m’explique que cette jeune fille, qui a « fait ses études en Algérie » (naturellement ! ) et dont la mère est Française, est l’amie, intime de ces dames, et nous servira de truchement. Ensuite, le maître disparait de nouveau, et cette fois-ci, c’est le harem qui se dérange, et vient au-devant de moi.

Elles sont quatre ou cinq jeunes femmes, grasses et pâles, filles ou belles-filles du ministre, accompagnées par sa femme, une belle Algérienne d’une cinquantaine d’années, dont les yeux infiniment tristes semblent garder le souvenir de bien des choses que les Marocaines ne connaîtront jamais.

Leurs toilettes sont simples, sobres, sans recherche d’élégance exagérée : c’est pour ainsi dire un harem du faubourg Saint-Germain. Elles me saluent, tour à tour, avec une distinction parfaite ; nous nous installons dans le mirador, en face de la vue éblouissante, et l’échange des compliments commence…

— Ai-je des enfanls ? (Elles le demandent toutes à la fois.)

— Hélas, non !…

— En Islam, une femme qui n’a pas d’enfants est considérée comme l’être le plus malheureux du monde.

— En Europe aussi, on plaint les femmes sans enfants. (Sourire incrédule du beau-frère.)

— Je demande : Que pensent ces dames de nos tristes costumes tailleurs ? Ne les trouvent-elles pas bien laids ?

— Mon Dieu, elles pensent qu’ils ne sont pas très jolis, mais elles supposent que, chez vous, vous vous habillez moins mal.

— Ont-elles quelquefois envie de voyager, de se promener au bazar, comme le font les dames turques ?

— Mais non, Madame, elles sont trop occupées (c’est encore le beau-frère qui parle). Car chez nous les femmes s’occupent de leurs ménages, de leurs enfants, font des ouvrages à la main, etc. etc. (Cette fois, c’est moi qui lui rends son sourire incrédule.)

Je m’adresse à la jeune fille « Européenne. »