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des globes allongés ; quelques bibelots cosmopolites ; des pendules. Et cependant, ce grand seigneur, dont le profil basané, au nez aquilin, à la bouche énergique et sensuelle, aurait pu servir de modèle à Carpaccio ou à Jean Bellini, cet illustre guerrier de l’Atlas, possède, dans la montagne, de vieux châteaux forts aux donjons crénelés, où, dans d’immenses cours, ses fauconniers, ses troupeaux et ses meules de sloughis s’abritent derrière des remparts farouches. Il vit, une partie de l’année, de la vie d’un prince du moyen âge ; entre temps, il circule en automobile sur les nouvelles routes françaises, fait de la diplomatie, construit des palais, collectionne des pendules.

Nous nous installons sur le divan, on apporte le thé, et tandis que nous causons, je remarque une toute petite négresse, une fillette de sept à huit ans, appuyée contre le chambranle de la porte, et qui nous observe, immobile. Comme la plupart des esclaves, même dans les plus grandes maisons, cette enfant est presque en haillons : une gandourah en mousseline sale est drapée sur son pauvre caftan fané, et sa petite figure est triste, profondément. Appuyée contre la porte, elle guette chaque mouvement du maître, qui ne la regarde jamais, qui jamais ne lui adresse la parole ; et toujours elle devine son moindre désir, et trottant menue sur ses pieds nus, elle remplit sa tasse sans qu’il la tende, nous passe les petits gâteaux blancs, ou emporte nos tasses vides. Puis, silencieuse, elle regagne la porte, et reprend la même pose attentive et résignée.

Enfin une grande négresse arrive, loqueteuse aussi, mais souriant de l’éternel sourire du harem ; elle vient nous introduire, M, ne de… et moi, auprès des femmes du Caïd.

Nous traversons la cour, et au bout d’un couloir nous pénétrons dans un patio intérieur, sans parterres de fleurs, mais où murmure l’eau dans une jolie vasque entourée de pigeons. Ici, la même salle à divans donne sur le même dallage aveuglant. Les rideaux de toile s’écartent, et un groupe de dames aimables et parées nous accueillent avec empressement. La pièce est quelconque, — on a toujours l’impression que les visites sont reçues dans une espèce de « parloir » officiel, et que la vie privée des harems se déroule dans un décor moins banal. Ici, sur les murs nus, pas même de stucs enroulés ; rien que quelques photographies fanées et un peu « province, » mais qui en disent long sur le passé des aimables personnes qui nous