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toujours exercée, ne s’est jamais laissée assoupir dans la molle torpeur du harem. C’est par-là que nous nous sentons, nous autres occidentales, subitement si près d’elle, malgré l’obstacle de la langue inconnue : un cerveau vit derrière ce beau front chargé de voiles, et nous regarde par ces yeux vifs qui sont connue deux fenêtres ouvertes dans le mur impénétrable du sérail.


II

…Comme toujours, l’après-midi, nous traversons les jardins du palais pour monter sur les mules sellées de vieux rose qui nous attendent à la porte de la grande cour.

C’est l’heure magique où Fez revêt son voile de mystère. Le soleil est encore haut dans un ciel sans nuages ; mais dans les rues étroites et perpendiculaires de Fez Elbali, sous les voûtes tortueuses percées dans les flancs des palais, le crépuscule descend déjà.

Au lieu de nous diriger, comme d’habitude, vers les bazars, nous prenons aujourd’hui par le quartier des jardins, descendant à travers les ruelles étranglées entre des murs d’une hauteur invraisemblable, derrière lesquels nous entendons gronder les eaux souterraines, et nous devinons-des fouillis d’orangers et de jasmins. Çà et là, une porte verte rompt la monotonie des murailles, ou bien un couloir voûté nous laisse apercevoir un coin de patio, où nous voyons des esclaves accroupis ; puis les murs recommencent, murs de palais maintenant, car nous sommes descendus plus bas que la zone des jardins, immenses façades grises et croulantes, se penchant l’une vers l’autre à travers le rétrécissement progressif des ruelles, et percées à peine de quelques meurtrières grillées de fer qui sont bouchées de chiffons immondes et de toiles d’araignées.

« Gare aux têtes ! » crie le conducteur qui nous précède, et nous nous penchons sur les cous de nos montures comme des jockeys sur le « home stretch, » pour ne pas nous cogner contre les poutres pourrissantes qui supportent les étages jetés à travers les rues. « Gare aux têtes ! » répète-t-il ; et cette fois, c’est l’arc abaissé d’une des portes intérieures de la ville qui nous menace ; ces lourdes portes bardées et cloutées de fer, aux verrous gros comme le bras, qui séparent l’un de l’autre les