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besoin ? Que deviendra le canal creusé de Dieuze à Sarrebrück pour le transport de la houille des mines aux salines ? »

Et le malheureux ingénieur, éperdu, suggère des échanges — qu’on pourrait proposer au gouvernement prussien pour satisfaire son appétit, par exemple, le bailliage de Tholey et le pays de Schaumbourg qui, bien qu’ils fussent loin à l’Est, sur les pentes du Hunsrück, appartenaient à la France avant 1790, et qui, par conséquent, devraient lui revenir en droit, d’après le texle même des nouveaux arrangements. Ne pourrait-on pas, dit-il, les céder à la Prusse qui, en échange, nous laisserait Sarrelouis, Sarrebrück, l’établissement de Geislautern, les mines d’Hostenbach, la manufacture de faïence des Villeroy à Vaudrevange, les importantes usines métallurgiques de Dilling ?

De son côté, le 30 octobre 1815, le directeur général des mines adresse un suprême appel au duc de Richelieu : « Les produits des houillères du pays de Sarrebrück, lui écrit-il, sont nécessaires à l’alimentation des usines que renferme le département de la Moselle et surtout à celles des salines du département de la Meurthe. Cette nécessité est beaucoup plus grande aujourd’hui qu’autrefois, parce que l’usage de la houille s’est considérablement répandu depuis vingt ans[1]. »

Mais Böcking veillait : tout fut inutile. Les négociateurs prussiens, dissimulant le véritable motif de leur convoitise, arrachèrent Sarrebrück et Sarrelouis à la faiblesse des autres plénipotentiaires qui, ignorant la question des mines, n’attachèrent pas grande importance à ce larcin fait à la France, à ce cadeau fait à la Prusse insatiable. Le gouvernement prussien, rapace, se montra intraitable et garda tout, en dépit des traités, aussi bien Tholey et Schaumbourg que Sarrelouis et Sarrebrück.

Le fameux historien de l’Allemagne moderne, Henri de Treitschke, n’a point la conscience troublée par cet acte de piraterie diplomatique auquel il applaudit sans réserve et qu’il apprécie en ces termes : « Pour arrondir la contrée de Sarrelouis, Sarrebrück avec ses inépuisables mines de charbon, ainsi que le puits de Saint-Arnual, aux anciens princes de Nassau, étaient « les acquisitions inappréciables. La fidèle ville, la vieille cité protestante, avait été plongée dans le désespoir (par le traité du 30 mai 1814), elle qui avait si complètement compté sur

  1. Cité par P. Vidal de La Blache, La France de l’Est, p. 217.