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combattant, et c’est mon seul moyen d’essayer encore de vous rendre service.

— Va, lui dis-je et adieu. Une poignée de main, mais de sa part d’une main raide, aux doigts noués, paralysés ; il l’avait déjà eue brisée par une balle ; de son gré, il était revenu au feu. Il saute sur le parapet, il descend vers le ravin.

— Encore un de tué, ai-je pensé tout haut. — Sur le bord des tranchées lointaines, il a disparu derrière un éclatement.

Nous avons tout l’après-midi fait des reconnaissances, tantôt découvrant des tranchées vides, tantôt nous heurtant à l’ennemi aux points où nous l’attendions le moins. A vingt heures, le bombardement redouble de violence ; à mon opinion, ils vont contre-attaquer. Contre les obus nous sommes parés ; nous avons l’avantage de n’être que fort peu pour un ouvrage immense ; parmi ce dédale de tranchées et de boyaux, il est aisé de jouer à cache-cache avec les obus. Mais nous serons noyés par les flots de l’attaque. Quelques pierres dans la main d’un enfant ne font pas une digue contre la mer.

Le crépuscule vient ; je profite de l’ombre pour sauter sur le parapet et descendre vers le colonel. En chemin, je rencontre Noël au fond d’une large fosse ; il est avec quelques blessés ; il a la jambe cassée. Délaissé depuis midi, il me supplie qu’on l’emporte. « Je te le promets, mais mon premier devoir est autre. » A des brancardiers croisés sur mon chemin, je donne des ordres à son sujet. Me voici chez le colonel.

— On te croyait mort, me dit Coureaux. Votre assaut a été admirable. Le général et le colonel l’ont vu et ont pleuré.

— A-t-on reçu un mot ?

— Tu demandes des renforts. Mais, mon pauvre ami, il n’y en a pas. As-tu soif ? Veux-tu te reposer ?

J’ai enfin la promesse d’une compagnie : me voilà fort. Je reviens inquiet vers mes hommes ; ne s’est-il rien passé dès que je fus absent ? Noël est emporté : je le rencontre. Si blanc dans ses linges, je le crois mourant ; sans un mot, nous nous embrassons ; j’ai l’esprit trop occupé pour pleurer. Mesté est là aussi, la tête perdue. Il va vers l’ambulance, et moi vers mon destin.

A ma joie, mes hommes étaient encore sur place. Rassurés dès que le bombardement se fut tu, ils rongeaient leurs miches, découvraient leurs conserves. A la nuit, avec Soufflault, nous