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revoir, messieurs, et bon courage. Après demain, sur la rive gauche de la Meuse. »

J’emporte d’Autrécourt le souvenir d’un sommeil bien repu, d’une gaieté saine et soutenue et, pour les officiers, d’une grande fraternité entre les deux combats. Il y avait au presbytère une belle fille de la Meuse, aux joues fraîches ; et dans la pénombre de la maison austère, sa silhouette nous était une fraîcheur aux yeux. Il y avait aussi son oncle, le curé du village, à l’œil octogénaire, et dont j’entends encore à mes oreilles la phrase inquiète qu’à chacun de nous il répétait plusieurs fois chaque jour : « Ils n’auront pas Verdun, n’est-ce pas ? »


VIII. — LE FORTIN DE LA DEUXIÈME POSITION

Il y a de Bar à Verdun une route qui, bien que bordée d’arbres, n’est point semblable aux autres voies nationales ; dépierrée sur tout son parcours, se succédant en plaies et en bosses, il semble qu’elle ne soit plus dans la main de l’homme ; son dénudement la montre abandonnée comme un vestige antique. Elle ne doit pourtant de paraître délaissée qu’à son surcroît de vie. Par milliers, des soldats ouvriers terrassiers travaillent chaque jour à la rempierrer ; mais le soir a rompu l’effort du matin, et sa vitalité la voue à sa destruction journalière. C’est la grande route historique de Reims à Metz ; Verdun lui doit son importance ; née de sa vitalité, elle s’en fait aujourd’hui la gardienne. Nul plus tard ne la foulera sans respect ; elle est l’artère centrale de cette guerre, et le meilleur sang de France y a passé. Ceux qui se plaisent aux réminiscences l’ont appelée « la Voie sacrée. »

Chaque jour, et depuis deux mois, deux sortes de cortèges s’y croisent sans discontinuer ; par centaines, en convois, des files interminables de lourds camions automobiles, voilés de longues bâches vertes. Ce sont des convois semblables, mais ce ne sont pas les mêmes convois ; il en va de l’un à l’autre comme de la nuit avec le jour, de la vie avec la mort. Les uns viennent de Verdun et les autres y vont.

Ces camions, pleins à bord, contiennent des hommes tassés, aux haleines chaudes, aux odeurs fortes, aux yeux brillants, toute une foule fiévreuse et congestionnée. Les uns sont jeunes,