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VERDUN
MARS-AVRIL-MAI 1916


« Il n’y a pire métier que celui qui oblige à changer de vertus. »


L’HOTEL DE VILLE DE VERDUN

« Le général, messieurs. »

Dans la tristesse pesante du brouillard qui, depuis midi, flotte aux fenêtres, l’or d’un képi jette sa note vive. Le général Deville entre, rapide, pressé, les lèvres sèches contractées dans la barbe grise, le monocle immobile dans le visage nerveux. Derrière lui, et le dépassant de toute la tête, le colonel Moisson, le visage durci, l’œil riche de l’émotion qu’il maîtrise.

Et, fond de tapisserie uniforme autour de ces deux figures principales, masse grise de capotes d’où émergent des faces blanches, en cercle, tous les officiers du régiment. Traits tirés de fatigue, raidis par la même consigne intérieure, visages frères, tous marqués d’un trait commun : le calme aux yeux ardents.

« Messieurs, dit le général, Verdun est menacé. Vous êtes à Verdun et vous êtes la brigade de Verdun. »

Le général Deville a l’éclair du geste, la parole âpre, ardente, rapide, le mot qui porte. Les phrases, chez lui, se pressent, se précipitent ; on les croirait en retard d’une idée, et les saccades de sa voix trahissent son impatience.

« Je n’ai pas à vous cacher la vérité ; nous avons été surpris.