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rapportées : « Encore vingt minutes, mes enfants, et l’on part. Cent mètres à faire d’ici la tranchée boche. Ayez soin de vous tenir en liaison à droite et à gauche. Quand vous serez dans la position, il faudra la consolider à cause de la contre-attaque. Je ferai avoir la croix de guerre à tous ceux qui ne l’ont pas, et j’ai une bouteille et demie de gnole à distribuer après l’attaque… Cinq heures ! Mes amis, rappelez-vous que vous êtes de la 11e. Du courage, et en avant !… » Tous s’élancent. L’objectif, la tranchée du Chaume, est atteint en quinze minutes. C’est alors que le sous-lieutenant, debout sur le parapet, tombe frappe d’une balle à la tête. Il est tué du coup. Un sergent le ramasse. Blessé lui-même, il doit abandonner le corps qui n’a pas pu être retrouvé. Le 10 septembre, M. le général Guillaumat mettait le sous-lieutenant à l’ordre du jour de la deuxième armée en ces termes : « Officier de devoir dont la bravoure et l’audace allaient jusqu’à la témérité, et sachant par son exemple et sa parole surexciter tous ceux qui l’entouraient. Le 26 août, devant Verdun, après une période de travaux pénibles en première ligne sous le bombardement, a conduit sa section dans des conditions difficiles à l’assaut de la position allemande. Tué glorieusement en arrivant sur la position. » Ce héros ne servait que depuis le mois de décembre 1914, époque où il était parvenu, quoique réformé, à se faire accepter comme engagé volontaire pour la durée de la guerre. Il avait été promu officier dès 1915. Le résumé de sa brève carrière tient dans ces quelques lignes : une citation à la division, une au corps d’armée, deux à l’armée, trois citations collectives dont deux avec sa compagnie et une avec le régiment, la croix de guerre avec deux palmes, une étoile d’or, une étoile d’argent, la fourragère, la croix de la Légion d’honneur. Il avait fait l’Argonne, la Champagne, Verdun, la Lorraine, la Somme, l’Aisne et la Marne. Il avait été blessé en Argonne et sur l’Aisne. Il avait trois brisques de blessures et trois de présence au front : Il avait vingt-sept ans. Il venait de se fiancer. Dans la vie civile, il s’appelait maître Raymond Jubert et il était inscrit comme avocat au barreau de Reims.

Ces états de service de l’auteur de Verdun sont la meilleure préface à ce récit. Ils en garantissent la sincérité. C’est le cas de rappeler le mot fameux de Pascal : « Je ne crois qu’aux miracles dont les témoins se feraient égorger. » Pour mieux