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avec sa cordiale bienveillance et sa parfaite bonne grâce. Quand je me suis acquitté de la mission dont j’étais chargé par mon général, Sa Majesté me dit, pour charmante formule de congé : « Vous aviez aussi demandé à voir la Reine. Venez, je vais vous conduire auprès d’elle. » Nous sortons alors dans l’enclos, moitié jardin très pauvre en fleurs, moitié petit parc où les pas s’étouffent dans le sable des plages et que surchauffe aujourd’hui l’étonnant soleil. La Reine, tout de suite je l’aperçois là-bas, entourée, submergée dirai-je presque, par une centaine de très jeunes enfants. Il y a seulement quatre grandes personnes, au milieu de cette foule de tout petits : elle, la Reine, qui est la svelte silhouette bleue, toujours ne ressemblant à aucune autre ; sa dame d’honneur vêtue de jaune-pensée, et deux bonnes sœurs aux aspects archaïques. Sa Majesté daigne faire quelques pas à ma rencontre, comme vers quelqu’un de déjà connu, et rien ne pouvait me toucher davantage. J’avais presque une appréhension de cette entrevue, comme chaque fois qu’il s’agit de retrouver des êtres, ou des lieux ou des choses dont on a été particulièrement charmé jadis. Mais non, Sa Majesté me réapparaît aussi exquise et jeune, dans son costume simple en mailles de soie bleue, les cheveux emprisonnés dans une sorte de petit turban, en gaze également bleue qu’attache une épingle à tête de saphir. Mais le bleu qui éclipse tous les bleus, c’est toujours celui de ses yeux limpides.

Les petits enfants vont s’en aller, paraît-il ; c’est eux, bien entendu, qui menaient ce beau tapage quand je suis arrivé : cinquante petites filles aux costumes tous pareils, cinquante petits garçons en uniforme de soldat formant une armée lilliputienne. Orphelins de la guerre, tous, échappés par miracle aux tueries boches, ils font partie de cette légion de petits abandonnés que la Reine a recueillis pour filleuls et pour qui Elle a fondé des pensionnats, dans des lieux abrités, — ou à peu près, autant que possible enfin, — abrités des obus barbares. Tous les dimanches, des voitures lui en apportent une centaine, qui à tour de rôle viennent passer ici une journée de grande liesse, à manger des gâteaux, boire du chocolat, danser, chanter, se rouler sur les dunes et faire des pâtés de sable. Donc, c’est l’heure pour eux de repartir, et les deux religieuses les mettent en rang ; elles sont plutôt vilaines et vulgaires, les pauvres, surtout auprès du fin visage de Sa Majesté, mais quand même