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que j’avais demandée, par ordre de mon général, à S. M. le roi Albert et que je n’attendais que pour demain, m’est accordée aujourd’hui même.

Quand j’avais fait, en 1915, par la nuit noire et la neige, ce chemin de Dunkerque à la villa du roi, qui m’eut dit que, plus de deux ans après, je le referais encore en pleine guerre !…

Aujourd’hui, tout respire la joie, malgré la mitraille et l’horreur qui sont là si proches. Il fait beau, radieusement beau, invraisemblablement beau, et il n’est guère d’angoisse qui résiste à la gaieté rayonnante du soleil de juin. Et puis, c’est dimanche, et ce jour qui, dans les villes, est si fastidieux, prend dans les villages un petit attrait quand même, au milieu des bonnes gens dans tous leurs atours. A travers des paysages de dunes, à travers d’immenses plaines sablonneuses, la route s’en va, bordée de petits arbres aux verdures neuves et claires ; des jeunes filles naïvement endimanchées, un brin de giroflée au corsage, s’y promènent en compagnie de soldats très mélangés, des Français, des Belges, des Anglais, des Hindous ; on entend toujours au loin la canonnade barbare, mais elle arrive à peine à évoquer l’idée de la mort, en cette journée rare où l’on ne pense qu’à la vie ; on sent que tout cet humble monde, rencontré en chemin, a voulu faire trêve à ses anxiétés, à ses terreurs, et souhaiterait s’amuser un peu sous le ciel du printemps. De frontière, il n’y en a plus ; depuis que l’intimité s’est faite entre nos deux pays, on passe, sans s’en apercevoir, de l’un à l’autre ; si l’on ne voyait çà et là, sur les auberges, des enseignes en langue flamande, on se croirait encore en France.

Après trois quarts d’heure d’auto, j’arrive au village où les souverains se sont réfugiés, sur un dernier lambeau de leur Belgique saccagée, et voici les villas royales sur les dunes, tout au bord de cette mer qui sommeille.

Dans le salon modeste où l’on me fait entrer d’abord, j’entends venir d’une pièce voisine le plus imprévu et le plus drôle de tous les tapages ; on dirait la récréation d’une école très nombreuse, des rires et des cris d’enfants, des sauts, des chansons ; je crois même que l’on danse des rondes, sur un vieil air flamand chanté en chœur par une quantité de petites voix cocasses.

Très modeste aussi le salon où S. M. le roi Albert me reçoit,