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l’Occident, jusqu’aux États-Unis, aura été brisé et refondu, ou l’Orient sera libéré et reconstitué. Évidemment, pour une pareille lâche, il ne suffira point de n’être pas vaincus, il est nécessaire d’être tout à fait victorieux. Mais, tant que nous aurons foi dans la justice créatrice de force et dans la force ouvrière de justice, nous voulons avoir une foi ferme et agissante en la victoire totale.

Si elle ne nous trompe pas, nous remettrons d’abord en question la paix humiliante sous laquelle l’Europe centrale, pesant de sa masse entière, a accablé la Roumanie, livrée par la défection russe, cette paix léonine, où l’on sent la griffe dans chaque article. La Roumanie y est atteinte et mutilée en sa chair même. Elle perd premièrement la Dobroudja. « La Roumanie restitue à la Bulgarie le territoire bulgare qui lui était échu par suite du traité de paix de Bucarest de 1913... Elle cède aux puissances alliées la partie de la Dobroudja située au Nord de la nouvelle ligne frontière... et plus précisément entre le sommet du Delta et la Mer-Noire, jusqu’au bras de Saint-Georges, » Le tsar Ferdinand une fois servi, l’Autriche-Hongrie ne s’est pas oubliée. « La Roumanie est d’accord pour que sa frontière subisse une rectification en faveur de l’Autriche-Hongrie. » Elle qui voulait délivrer du joug magyar ses fils du dehors, elle va avoir à perpétuité, ou à tout propos, les Hongrois chez elle; bien pis, elle ne sera jamais plus chez elle; on lui prend les clefs de sa maison. Au Nord-Est, au Nord, au Nord-Ouest, l’ennemi se ménage autant d’accès qu’il y a de cols et de débouchés dans les vallées. Il lui lie les mains et les pieds, lui interdit de se défendre, lui en enlève tous les moyens, positions et troupes, la dépouille afin de l’exploiter, la laisse nue sur la plaine nue. Militairement, économiquement, il la traite avec une rigueur impitoyable. Son armée est réduite à un squelette, à peine de quoi faire sa police, et maintenir l’apparence de l’ordre. Toutes ses richesses, blés, pétroles, le vainqueur s’en empare ou les frappe de son hypothèque privilégiée. Il ne reste à la Roumanie, outre ses dettes dont il ne la décharge pas et les contributions déguisées ou dommages-intérêts dont il ne la tient pas quitte, que le droit de travailler en esclave pour le nourrir. Si ce traité n’était pas un « chiffon de papier; » si, quand nous aurons plié la force aux œuvres de la justice, nous ne le déchirions pas et nous n’en jetions pas les morceaux aux quatre vents, cette paix serait un asservissement. Meurtrière pour la Roumanie, elle serait funeste pour nous. Paix de Bucarest, paix de Brest-Litowsk, paix oukranienne, tous ces fruits vénéneux de l’arbre d’iniquité nous empoisonneraient. Mais