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la retrouvons dans l’œuvre des plus grands génies de la Grèce : elle est ainsi consacrée. Tournier l’a montrée dans Eschyle et dans Hérodote, et non pas comme une opinion qui apparaît de temps à autre, mais comme le principe d’une poésie et d’une philosophie de l’histoire. Ses pages sur Eschyle sont inoubliables. Il s’est approché lentement de ce génie « monstrueux » et ne s’est que lentement familiarisé avec une pensée si extraordinaire. Ce fut l’idée de la Némésis qui, à la fin, la lui rendit claire. Et la tragédie des Perses, la voici. Elle est un rude enseignement. Elle célèbre la victoire de la Grèce ? Gui ; et elle est toute pleine de joie patriotique. Mais elle avertit la Grèce : « Eschyle voulait appeler l’attention des vainqueurs sur les étranges retours de la fortune et sur les desseins supérieurs qui en règlent les apparents caprices ; il voulait les mettre en garde contre un enivrement dont la défaite même de leurs ennemis révélait le péril ; il voulait leur inspirer la crainte de ces dieux jaloux qu’ils avaient eus pour protecteurs lorsqu’ils étaient faibles et modestes et qu’ils pouvaient s’aliéner à leur tour par l’orgueil joint à la puissance. » Or, la Grèce venait à peine de se délivrer : « Quel âge, que celui où de pareils enseignements se font écouter de la victoire ! où la Muse se sent assez forte et assez respectée pour aimer mieux s’honorer par d’utiles maximes que d’exciter les applaudissements par de dangereuses flatteries ! Quelle démocratie, que celle où un peuple, à peine respirant d’un triomphe inespéré, souffre un si austère langage sur la scène consacrée à ses plaisirs ! » Le même enseignement, les Grecs avaient à le tirer du père de l’Histoire. Toute l’histoire d’Hérodote est l’exemple des vicissitudes humaines ; les siècles y sont apportés en témoignage des vérités qu’au début de l’ouvrage Solon formule : « La divinité n’est que jalousie et se plaît aux bouleversements ; etc. » Les uns après les autres, des peuples se dressent, parviennent à l’hégémonie, et tombent. Les dominations succèdent aux dominations ; la folie succède à la folie : et, la longue histoire humaine, c’est toujours l’attente d’un peuple sage, qui évitera l’orgueil, les conséquences de l’orgueil, et qui vivra sous le gouvernement des dieux jaloux. Hérodote souhaite à l’Hellade ce privilège de durable raison. Mais, quoi ! la perfection même de la docilité ne risque-t-elle point d’éveiller la susceptibilité divine ? Et, en définitive, cette docilité dont la récompense est incertaine, Hérodote avoue qu’elle ne dispense pas les hommes et les peuples de subir leur destinée. Il a découvert, appliqué du moins à l’anecdote séculaire des nations, une loi de l’histoire, qui lui permet d’interpréter et