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familial, et, avant de plier les jarrets, il a bu un bon coup pour évoquer des temps meilleurs.

— On dirait presque que vous l’approuvez, repartit, non sans rancune, le commandant.

— J’en ai plus horreur qu’il n’est en moi de l’exprimer, et si vous compreniez comme je fais ce que signifie votre document psychologique, peut-être eussiez-vous hésité à l’introduire dans votre poche. Il marque le dernier terme d’une décadence que j’abomine. Je voudrais ne pas voir combien la mort se vulgarise. Il ne faudrait penser à elle qu’avec un effroi religieux. Elle doit être si belle dans la bataille, quand on a les bras chauds d’action, et que l’on sent autour de soi claquer l’haleine du danger ! Mais cette guerre prodigue de plus en plus l’accident, qui advient n’importe quand, hasard méthodique qui frappe sans haine. On mange d’un côté d’une barricade de sacs pendant que, de l’autre, l’ennemi recoud ses boutons de culotte. Et la Parque vous fige dans les attitudes les moins nobles, vous déchire de ses armes malpropres, torpilles qui éventrent et parois d’obus qui font d’une cuisse un moignon ébarbé. Rien n’est plus dégradant que cette promiscuité avec l’ennemi, que cette promiscuité avec la mort. On ne devrait s’approcher de l’un et de l’autre que pour les narguer en crachant des insultes.

Le colonel Hougard mit la main sur l’épaule de Baltis : — Vous me faites plaisir ; il faut toujours réserver ce que notre métier a d’éclatant. Mais ne méprisez pas la forme trop moderne du risque, qui a bien son prix, car elle exige du soldat un dévouement dans le sacrifice, une conscience, une résolution préalable dont il n’eut pas besoin autrefois. L’on ne va que rarement au-devant du danger, mais l’on est sans cesse exposé, et par là même on peut être exemplaire. Et vous auriez raison, Clotaire, de croire que cette guerre offre à ceux qui veulent se démettre de la vie l’occasion de le faire en beauté, si l’on pouvait à la fois profiter d’un tel bienfait et en être digne.  »


COURAGES

Juillet 1915.

Chez quelques-uns, le courage résulte d’une dévolution : ils ont fait à leur pays le don d’eux-mêmes et attendent qu’il soit agréé.