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Monarchie, Polonais, Slovènes, Dalmates, Ruthènes ou Croates, se sont décidés à adopter une politique d’union sacrée entre les différents partis et d’opposition irréductible contre le gouvernement de Vienne. Si, pendant près de trois ans, seule entre toutes les puissances belligérantes, l’Autriche a renoncé à convoquer son parlement, se réduisant par-là même à une situation malaisée, humiliante, presque ridicule, c’est surtout parce qu’elle craignait les protestations que les députés tchèques ne manqueraient pas de jeter du haut de la tribune pour dénoncer à tout l’univers sa monstrueuse tyrannie.

Crainte trop justifiée ! Lorsque, après avoir détenu des milliers de Tchèques, après en avoir massacré des centaines, elle a cru avoir maté la résistance des autres, et qu’elle s’est décidée à réunir enfin le Reichsrat, qu’est-il arrivé ? Dès la première séance, en dépit des adjurations pathétiques du ministre Clam-Martinitz, le président de l’Union Tchèque, M. Stanek, a lu une déclaration solennelle où il revendiquait l’indépendance des pays tchéco-slovaques, dans des conditions qui supposaient un complet bouleversement du dualisme austro-hongrois. Les partis polonais, slovène et ruthène ont aussitôt suivi son exemple. Au dehors, un manifeste de 150 intellectuels tchèques exprimait les mêmes aspirations, et 15 000 ouvriers, sur les places publiques de Prague, maudissaient le gouvernement impérial en acclamant la France et la Russie. La Double Monarchie, grâce à l’initiative tchèque, tremblait vraiment sur ses bases.

Si nous en doutions, voyons seulement la colère des Allemands et des Magyars. « Quoi ! Ce que je lis n’est pas le compte rendu de la Chambre française, s’écrie le journal magyar Akotmany, ni de la Chambre des Communes anglaises, mais celui de la séance d’ouverture du Reichsrat autrichien ?… Par leur plan, les Tchèques passent dans le camp de nos ennemis, car, de même que nos ennemis, ils veulent nous démembrer. »

Rien de plus significatif que ces hurlements de douleur et de colère. Les Tchèques ne s’en sont d’ailleurs nullement laissé émouvoir : depuis la séance historique du 30 mai, ils ont persévéré, ils persévèrent dans leur altitude intransigeante. Notamment, ils répètent à tout propos que, pour eux, la reconstitution de la Bohême n’est pas une affaire intérieure d’Autriche, mais une affaire européenne, internationale, qui doit être portée devant la conférence de la paix : c’est