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avaient commencé à se battre contre les Autrichiens. « Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage, » pensa le gouvernement de Vienne. Pour faire expier aux Tchèques leur trahison, il forma un nouveau 28e, composé de recrues tchèques ; ces enfants de vingt ans, envoyés sur l’Isonzo, furent placés exprès dans un poste on ne peut plus dangereux : dix-huit seulement échappèrent au massacre, — et le 28e fut solennellement réhabilité.

A partir du printemps de 1915, ces redditions en masse devinrent impossibles, parce que les soldats tchèques furent disséminés dans des régiments allemands et magyars, l’état-major de Berlin ayant pris dans sa rude poigne la direction de l’armée autrichienne. Mais les défections d’individus isolés ou de petits groupes ne prirent pas fin. Empruntons à un jeune écrivain tchèque, M. Skalicky, le tableau d’une de ces scènes qui se sont produites sans cesse en Galicie ou en Volhynie : « Les volontaires tchèques (de l’armée russe) ont souvent en face d’eux un détachement tchèque. Ils s’approchent de la tranchée ennemie, et commencent à chanter leur hymne national. Cet air doux et mélodieux hypnotise les soldats tchèques qui se tiennent derrière les fils barbelés. Une, deux, trois voix s’ajoutent, et, tout à coup, le chant sacré doucement résonne. Et, comme ensorcelés, les soldats obéissent à cette voix caressante de l’hymne national, et leur conversation devient très courte : Frères, voulez-vous la Bohême libre ? — Nous voulons. — Eh bien ! suivez-nous. — Et les tranchées autrichiennes se vident, et le nombre des volontaires tchèques augmente. »

Les tranchées autrichiennes se sont, en effet, prodigieusement vidées. On estime que, jusqu’en 1916, 600 000 Tchécoslovaques ont été envoyés au front ; là-dessus, 350 000 se sont rendus aux Serbes et aux Russes, et les autres, faute d’avoir pu en faire autant, ont servi aussi mal que possible sous l’aigle bicéphale.

Il n’est pas surprenant que les hommes d’Etat de Vienne et les députés pangtermanistes se soient répandus en invectives contre cette conduite des Tchèques. Mais, où ils dépassent la mesure permise même aux mensonges allemands, c’est quand ils les accusent de lâcheté. Rien de commun entre les défections des soldats de Bohême ou de Moravie et les honteuses capitulations qu’on a pu voir dans d’autres armées. Les