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d’approchant, mais sur une bien moindre échelle. Tous ces exemplaires inconnus de la grande famille humaine, vivant longtemps parmi nous, offrent à l’artiste une occasion unique de les observer au travail, au repos, au danger, à la mort, au plaisir. Quand ils sont à la soupe et à la corvée, il voit comme ils mangent, comme ils palabrent et comme ils s’efforcent ; au service divin, au cinématographe, à l’assaut, il voit comme ils prient, il voit comme ils rient, il voit comme ils tuent. Les différences dans l’angle facial, le port de tête, la souplesse et le jeu des muscles, l’aptitude plus ou moins grande à se plier, à se ramasser, à bondir, à mesurer le geste à son objet, l’expression à son sentiment, l’effort à son but, — tout ce qui exige une action et une action violente pour se trahir est infiniment plus facile à observer, à la guerre, dans les moments où toutes les virtualités sont en jeu, que chez un modèle prenant une pose à l’atelier. Bien entendu, seuls les artistes qui sont au front en profiteront pleinement. En cela, comme en beaucoup d’autres domaines, c’est sur les combattants que nous comptons pour venir diriger, éclairer et rajeunir notre vision des choses.

En attendant, beaucoup en ont déjà profité. M. Flameng a si justement saisi les altitudes particulières aux Anglo-Saxons, que, modifiât-on leur uniforme, l’œil reconnaîtrait sans hésiter leur race. M. Devambez dans ses Soldats hindous autour du feu, M. Dufour, dans son Type de prisonnier russe 1914 vétéran sibérien. M. Louis Valade, dans ses Ecossais prisonniers en Allemagne, M. Sarrut-Paul, dans son Chef indien : Rissalder Nahil Khan et son ordonnance indien, division de Lahore, s’y sont essayés. Mais ceci n’est qu’un commencement. Voici tout un monde nouveau qui s’ouvre pour les peintres. Se figure-t-on la joie d’un Giotto, lui, qui scrutait avec tant d’attention la physionomie de deux Mongols venus en ambassade, en son temps, d’un Mantegna qui s’attachait si ardemment à profiler l’exotique visage de Zélim, frère du Sultan, d’un Bellini qui courait à Constantinople, étudier celui de Mahomet II, d’un Rubens qui épiait l’expression et l’extase dans un faciès de nègre, s’ils voyaient arriver aujourd’hui chez eux, en masse, tous ces peuples dont ils n’ont pu que deviner les indices physiologiques par quelques rares et fugitifs spécimens ! A l’heure où l’on pouvait croire que « tout était dit » sur l’homme et qu’on « venait trop tard, » — beaucoup de nos vieux peintres,