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geste, un geste en extension et même deux : le geste qui vise et celui qui lance, avec toute la suite d’attitudes que ces mouvements déterminent. Certes, ce n’est pas le Discobole : pourtant, s’il était dégagé de la lourde carapace du vêtement, il offrirait un beau motif, même au sculpteur. En tout Cas, l’action du « grenadier, » comme celle du « nettoyeur de tranchées, » la rencontre fortuite ou voulue de l’ennemi dans les boyaux, la dispute d’un entonnoir à la baïonnette, le corps à corps, en un mot, ou le contact, — voilà qui parle aux yeux et qui est significatif de la lutte.

En effet, le corps à corps a été à peu près le seul thème du combat antique figuré par la sculpture grecque et l’un des plus fréquents de la peinture de batailles jusqu’au XIXe siècle. Mais on pouvait croire que la guerre moderne, conditionnée par les armes à longue portée, n’en donnerait plus d’exemple. On se trompait. Cette guerre donne des exemples de tout. Elle est comme un coup de drague, qui ramène des profondeurs du Passé les engins primitifs contemporains des civilisations ensevelies, des organismes qu’on croyait disparus avec les époques géologiques favorables à leur développement. C’est tout au plus si l’on n’a pas vu reparaître dans les tranchées, autour de Reims, les arbalètes figurées dans les tapisseries de sa cathédrale tissées au XVe siècle. On s’est battu à coups de crosse de fusil, à coups de couteau, à coups de poignards hindous, à coups de pelle et de pioche. On s’est même battu à coups de poing, — lorsque deux corvées, parties sans armes à la recherche de quelque source ou fontaine, se sont inopinément rencontrées. Dans cette lutte où l’engin de mort vient parfois de si loin et tombe de si haut qu’il prend tout l’aspect d’une météorite, — après avoir traversé les espaces interstellaires où l’homme ne peut s’élever, — il frappe parfois de si près que l’âge de la pierre polie eût suffi à le fournir. Voilà des motifs pittoresques et même plastiques dont l’Art peut s’emparer. Il faut s’attendre à ce qu’il en use largement.

Mais la rencontre de quelques hommes, au fond d’un entonnoir ou au détour d’un boyau, n’est pas toute la guerre. Ce n’en est même pas un trait assez saillant pour la signifier à ceux qui l’ont faite. Il n’y a peut-être pas un homme sur cent qui ait jamais eu l’occasion de croiser la baïonnette avec l’ennemi. Le trait saillant de cette guerre, c’est l’action du canon et des