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II. — L’ACTION

Un soldat de 1914 décrit les sensations éprouvées lors de son premier repos, après les durs combats qui ont sauvé la France : il est dans une maison de campagne et pendant le peu de temps que dure cette halte, il jouit délicieusement de la détente : entre autres objets calmes et familiers de la vie d’autrefois, ses yeux tombent sur des journaux illustrés représentant les derniers événements de la guerre. Il se précipite et les interroge avidement : enfin, il va savoir à quoi peut bien ressembler une bataille !

Ce trait n’est point absolument particulier au soldat de cette guerre : de tout temps, il y a eu des soldats qui ont figuré dans une action sans la voir. Mais, jadis, il y avait, du moins, quelqu’un qui la voyait : chefs ou aides de camps, estafettes, aérostiers, artistes parfois chargés de la dessiner. Un Denon ou un Vereschaguine pouvaient rendre compte d’un spectacle d’ensemble, parce qu’il y avait un spectacle d’ensemble visible, qui avait un commencement, un milieu et une fin, qui se déroulait d’ordinaire entre le lever et le coucher du soleil, à travers ses nombreuses péripéties, graduées pour soutenir l’intérêt, qui obéissait, en un mot, à la règle des trois unités : lieu, temps et action. Parfois, il est vrai, la bataille s’y conformait dans le récit mieux que dans la réalité : il n’était pas rare que le grand chef la composât, après coup, comme une tragédie classique après l’avoir livrée au petit bonheur comme un pot-pourri. Mais elle se laissait faire, et très souvent elle se composait d’elle-même aux yeux des témoins. Il est évident, par exemple, que des actions ramassées et précises comme celles de Fontenoy ou d’Austerlitz se dessinaient sur le terrain avec une netteté suffisante pour que le peintre n’eût qu’à les reproduire telles quelles. Blaremberghe a pu faire voir, comme les habitants de Tournay l’avaient vu le 17 mai 1745, l’action des escadrons blancs et bleus du maréchal de Saxe disloquant l’énorme colonne, rouge, du duc de Cumberland, après que les canons visibles, aussi, ’y avaient pratiqué une entaille. Horace Vernet a pu montrer, dans son Montmirail, le mouvement de la vieille garde abordant en colonnes serrées là garde impériale russe, et