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moderne, en supprimant le spectacle de l’activité humaine sur la surface du sol, a suscité tout un fourmillement de vie souterraine. Le combattant, pour échapper à la mort éparse dans l’air, a fouillé le sol de plus en plus profondément, plus loin que les racines des arbres, à travers les stratifications diverses et puis il a poussé ses rameaux de combat vers l’adversaire, sous les pieds de l’Ennemi et allumé ses camouflets. Il s’est astreint à une vie de troglodyte et de mineur. Ce que nous imaginons de l’habitat ordinaire des hommes préhistoriques, dans leurs cavernes, se reproduit, ramené, comme en un cycle de fer, par les conditions que nous font lus plus récents progrès de la Science. De là, un décor nouveau et fort inattendu : celui d’une cave mal éclairée, voûtée de roches ou de rondins, où un mince filet de lumière venue d’un jour de souffrance, parfois une chandelle fumeuse éparpillant sa pauvre clarté dans l’obscurité oppressante ; une lanterne déployant un éventail de lumière aux branches d’ombre ; une ampoule électrique émettant son éclat immobile et blême, peuplent les parois d’ombres chinoises. C’est l’ambiance d’un cabinet d’alchimiste ou de souffleur ou d’une oubliette moyenâgeuse.

Pareillement, les chefs que l’ancien tableau de bataille montrait caracolant sur un cheval fougueux en plein soleil ou escaladant, le chapeau piqué au bout de leur épée, des gradins de franchissement, parmi les rayons, les reflets, sous les ombres changeantes des nuages et la vie étincelante des champs, les écharpes déroulées sous la brise, les longs cheveux flottants au vent, sont là, immobiles et solitaires dans le décor où Rembrandt place son Philosophe en méditation. C’est un décor tout nouveau pour un tableau de bataille. Jamais guerre n’a été moins que celle-ci une guerre de « plein air. » L’artiste qui voudra en dégager le trait le plus nouveau et le plus caractéristique devra donc s’astreindre aux effets de clair-obscur, oublier les théories intransigeantes de l’Impressionnisme et se remettre à l’école des Rembrandt et des Nicolas Maes.

Il fera bien aussi de demander conseil à M. Le Sidaner et à certains Nocturnes de Whistler, car ce n’est pas seulement la demi-obscurité de la tranchée, ou de la cagna, c’est la nuit qu’il devra peindre, la nuit en plein air et semée de feux. C’est un des aspects les plus nouveaux et les plus curieux de la guerre moderne : je ne dis pas des plus inattendus. Il était aisé