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Théâtre d’orgueil encore, et dans le meilleur sens du mot, quand il devient un théâtre d’idées. Choix de ces idées (culte de la race, le devoir social des aristocraties, la Science et le Mystère), manière de les traiter (ni rhétorique, ni mélodrame), qualité des âmes qui se passionnent pour elles (Robert de Chantemelle, Jean de Sancy, Albert Donnat), tout révèle chez M. de Curel les mêmes tendances d’esprit : amour des grands sujets, mépris de l’émotion banale, du succès facile.

Les événements actuels amèneront-ils M. de Curel à mettre son rare talent au service de tant de belles causes menacées ? Nous le souhaitons d’autant plus qu’il est, plus que personne, capable d’assurer le renouvellement, impérieusement nécessaire, de notre art dramatique. Mais, telle qu’elle est, son œuvre suffit à justifier la plus belle renommée. Le psychologue à qui nous devons tant d’analyses subtiles et profondes ; le moraliste qui ajouta au trésor de notre littérature d’observation déjà si riche ; le poète philosophe qui sait illuminer d’un éclair rapide une âme ou un problème, ouvrir à l’esprit les plus nobles perspectives, et sur les sommets les plus arides faire éclore les fleurs qui décident aux rudes ascensions l’humanité curieuse et débile ; celui-là peut dédaigner les approbations faciles, irriter même ou contrister ses admirateurs les plus bénévoles ; il domine malgré tout, il s’impose ; il compte, dès maintenant, parmi les écrivains qui font honneur à l’esprit français, et rappellent au respect les étrangers qui ne veulent voir en nous que des amuseurs publics.


GAILLARD DE CHAMPRIS.