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est aussi celui de la foi ; mais il accepte le conseil de Pascal : « Abêtissez-vous. » Sans consentir à croire, il fait les gestes, il pratique les vertus du croyant et, par l’humilité, il s’élève au sublime : « Je ne crois pas en Dieu, mais je meurs comme si je croyais en lui… J’ai pris mon parti de raisonner comme un illustre et d’agir comme le premier brave homme venu. C’est incohérent, mais viendra-t-il jamais le jour où l’on pourra, en ne suivant que sa pensée, aboutir à toutes les grandeurs morales ? Pour le moment, l’intelligence a sa logique, et l’âme, — ce je ne sais quoi qui dépasse ma compréhension, mais qu’Antoinette définirait à l’instant, — l’âme aussi a la sienne, très différente de l’autre. Oui, lorsqu’il s’agit de ne pas crever comme un chien, mais de finir noblement, c’est encore auprès des humbles qui adorent Dieu, et des cœurs ardents qui aiment avec ton héroïsme que les philosophes ont à chercher des leçons de logique. » (Ibid.) Comme ces aspirations généreuses, comme ces nobles aveux laissent loin derrière eux les sécheresses passionnées de l’Envers d’une sainte, les effusions laborieuses de l’Amour brode, et même les mélancolies hautaines de l’Invitée ! Tout à l’heure, M. de Curel se complaisait à l’observation minutieuse des passions égoïstes et malfaisantes ; il chante maintenant les passions généreuses qui élèvent l’humanité au-dessus d’elle-même. Le psychologue cruel se fait poète lyrique.


IV. — LE LYRISME

Ce contraste, déconcertant d’abord, mais qui prouve une richesse singulière d’aptitudes, on le sentira mieux encore si, après le dramaturge et le psychologue, on étudie chez M. de Curel l’écrivain.

Ce n’est pas un écrivain impeccable, et l’on pourrait signaler chez lui des impropriétés, des obscurités, des incorrections même, en assez grand nombre. Mais en regard que de beautés !

M. de Curel a la vigueur concentrée des moralistes : « Apprendre à se taire ne console pas… » (La Nouvelle Idole.) — « Le stoïcisme n’habite que les âmes passionnées… » — (L’Invitée.) « Être bon, c’est chez les orgueilleux une façon hautaine de rendre à la vie le bien pour le mal. » (Ibid.) — « L’homme qui nous respecte ne nous devient jamais indifférent. » (L’Amour