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ans de souffrance, d’isolement et de stoïcisme laborieux, n’ont pas dépouillée de sa bonté profonde et de sa délicatesse, — telle Anna de Grécourt, — nous oublions ses artifices, ses ironies, son scepticisme de commande ; nous lui accordons plus que notre pitié, plus que notre estime : notre amitié la plus tendre.


M. de Curel, d’ailleurs, nous ménage d’autres émotions. S’il nous impose parfois la peine d’arracher leur secret à des âmes profondes et un peu farouches, il sait animer d’une vie généreuse, éclairer d’une lumière magnifique des âmes dont l’exaltation atteint naturellement à l’éloquence et au lyrisme. A côté des pauvres créatures, — des femmes presque toujours, — enfermées dans un douloureux égoïsme, il place des êtres d’élite que tourmente une grande ambition et qui, au service d’une noble cause, mettent toute leur énergie, parfois même toute leur souffrance.

Certains d’entre eux ont pu déchoir, ruiner eux-mêmes toutes leurs espérances, s’interdire toute résurrection ; pour célébrer leur chimère, ils retrouvent l’âme ardente et mélancolique des grands passionnés : « Oui, j’ai pour la gloire une passion de désespéré !… La passion des gens qui se donnent pour se débarrasser d’eux-mêmes, qui s’éprennent d’une femme parce que son sourire promet l’oubli… Moi, dont les visages de femmes se détournent avec horreur, j’adore la gloire comme un sourire sur les lèvres de l’humanité. » (Coup d’aile.) Alors, un reflet de beauté illumine leur face aux honteux stigmates, et nous oublions leur chute pour contempler avec eux le ciel où se perd leur dernier regard.

A plus forte raison, ne marchandons-nous ni notre admiration ni nos larmes, quand l’âme qui s’efforce sous nos yeux est une âme innocente. Robert de Chantemelle ignore les préjugés d’un autre âge, et s’il tient à perpétuer sa race, ce n’est pas par vanité nobiliaire. Il croit à la valeur morale des aristocraties, à leur nécessité plus que jamais impérieuse dans un monde chaque jour plus égoïste : « Nous ne sommes plus rien en France ? Si, nous sommes les oubliés, les dédaignés qui paient l’ingratitude en semant autour d’eux l’esprit d’abnégation. » (Les Fossiles.) Il sait que tant de générosité peut égayer