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membre de l’Institut, explique-t-il, n’est pas bon de la même manière que le bon Samaritain. Au lieu de s’oublier à panser ses plaies, il exerce sur elles sa manie d’expérimenter. Ma douleur, à supposer que j’aie eu quelque chagrin, s’est doucement créé un allégement à vérifier l’angoisse des deux êtres qui poursuivent le bonheur à mes dépens. Rien ne m’échappe de leurs querelles ni des reproches qu’ils se l’ont l’un à l’autre. J’éprouve une joie malicieuse à semer la discorde à propager le trouble. » (La Figurante.) Sur de tels personnages et quelle que soit parfois leur mélancolie (« Oh ! oui, je l’avoue, malgré ma philosophie, j’ai des heures de dégoût profond, » (ibid.), comment s’apitoyer vraiment ? Quand ils ne nous inquiètent pas, ils nous étonnent plus qu’ils ne nous attirent ; et leur souffrance nous est pénible plus qu’elle ne nous touche. Même quand, à la fin, une épreuve trop lourde, un sentiment trop vif de leur responsabilité les réduit à l’aveu, à la prière, leur orgueil persistant, leur sécheresse affectée leur enlèvent presque, à nos yeux, le mérite de leur tardive confession.


Par ailleurs, une immense tristesse se dégage du théâtre de M. de Curel. Ses personnages si fiers, si orgueilleux, si noblement ambitieux parfois, aboutissent presque tous à de lamentables échecs.

Avoir été dix-huit ans religieuse, bonne religieuse, et, rentrée dans le monde, se retrouver orgueilleuse, jalouse, vindicative jusqu’à la cruauté, quelle faillite ! — C’en est une aussi que constate Anna de Grécourt, lorsque, laissant son mari à sa passion sénile et reprenant elle-même le chemin de l’exil, avec ses filles cependant, elle établit ce bilan lamentable : « Je suis restée honnête et ma satisfaction est médiocre ; vous avez servi vos passions et votre félicité est mince… Mon pauvre ami, tous les chemins mènent à Rome… Je vous plains, plaignez-moi… Je n’ai pas vécu plus seule dans mon abandon que vous dans vos intimités… Il pleut du ciel des croix qui ne choisissent pas les épaules… » (l’Invitée.) — Comme Anna, I Michel Prinson s’apaisera, peut-être, auprès de sa fille retrouvée ; mais son cœur insatiable se consolera-t-il jamais de ses rêves envolés ? Hélène en doute : « Ne craignez pas de me blesser, dit-elle. Répondez que vous êtes dupe… La gloire vous