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la lumière. Il n’y a guère de pays où l’on trouve une plus grande ferveur de superstitions qu’au Japon, et dans toutes les classes. Le gouvernement eût été fort maladroit de ne point utiliser cette source d’énergie et ces moyens d’expansion. Sa conduite en Corée nous prouve qu’il compte sur la religion pour reciviliser ce pays en décadence et qu’il ne la juge pas incompatible avec les progrès industriels et scientifiques. En même temps qu’il apporte aux Coréens les bénéfices de la civilisation occidentale, il ne se contente pas d’imposer dans ses écoles le culte intéressé de la divinité impériale, il se fait le restaurateur de la religion bouddhique.

D’où vient cependant que presque tous les missionnaires chrétiens en Corée parlent de l’agnosticisme ou du rationalisme des Japonais et en reconnaissent déjà les effets sur les Coréens ? C’est, je crois, que l’on sent beaucoup plus d’intention politique que de charité dans leur prosélytisme et que leur culte national prend de jour en jour une forme plus administrative. Mais c’est aussi que, parmi les superstitions indigènes qui s’en vont, pas une ne s’en va plus vite que celle de la supériorité des Européens. Les Coréens sont en train de reporter sur leurs conquérants toute la considération et toute l’admiration que naguère ils nous accordaient. Peut-être se rendent-ils compte qu’aucune nation européenne ne les aurait arrachés plus rapidement à la misère matérielle et morale où ils croupissaient. Quand on les pousse un peu, ceux-là même qui, sur la foi d’anciens oracles, gardent encore le vague espoir d’une indépendance reconquise, ne peuvent s’empêcher d’en convenir. Avec les Japonais sont entrés dans ce royaume de l’oppression et de la routine la sécurité, le travail, l’humanité, la vie.

Le spectacle de Séoul est inoubliable. À côté de cette vieille ville, dont nous parcourions tout à l’heure les palais en ruines, et dans sa vaste enceinte, les Japonais en ont construit deux nouvelles, l’une européenne, l’autre japonaise. L’européenne est la ville administrative : banques, bureaux, entrepôts, résidence générale. Ils ont bouleversé des quartiers coréens pour en faire sortir des monuments de pierres et de briques. Ne vous demandez pas pourquoi des gens qui avaient une architecture s’acharnent à imiter ce que la nôtre a de plus banal et ne peuvent loger leur gouverneur, leur journal officiel, leur police, leur magistrature, leurs banquiers et leurs touristes dans des