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des Coréens et apprirent que le maître était un capitaine russe nommé Birukoff. La famille de ce Birukoff l’avait envoyé en Sibérie à cause de ses fredaines et pour le guérir d’une soif immodérée. Les ambassadeurs, qui n’avaient aucune envie de visiter Vladivostok, se font présenter au capitaine et lui demandent si par hasard il ne consentirait pas à venir enseigner le russe aux sujets de Sa Majesté l’Empereur de Corée. Birukoff aimait le changement beaucoup plus que l’agriculture. Il accepte ; et l’ambassade s’en retourne à Séoul avec son mandarin russe. La porte de l’Est fermait alors à neuf heures et demie ; mais il y avait, en dehors, des auberges pour ceux qui arrivaient trop tard. La petite troupe, devancée par le soir, y emmena Birukoff, et on fit la fête toute la nuit. Le matin, le gouvernement fut averti que l’oiseau rare avait été capturé. « Soignez-le bien ! » dit-il. Et la fête continua tout le jour. Le crépuscule était tombé, quand on se décida à franchir la porte de la ville. Les jambes de Birukoff flageolaient, et celles des ambassadeurs n’étaient guère plus solides. Aucun d’eux n’avait songé à lui préparer un gîte. Ils le menèrent d’abord à un hôtel japonais. Mais, comme il refusa de quitter ses bottes et qu’elles menaçaient toutes les nattes de la maison, les Japonais le mirent dehors. Les ambassadeurs pensèrent qu’il serait moins dépaysé chez des compatriotes, c’est-à-dire chez des Européens. La maison des Anglicans était tout près. Ils frappèrent. On ouvrit. Ils poussèrent Birukoff dans la cour, et s’en allèrent. Au bruit qu’un homme extraordinaire était entré, le Révérend accourut. Birukoff lui demanda en russe où il se trouvait. Le Révérend, frappé de stupeur, crut qu’il parlait français et appela aussitôt une diaconesse, sœur Norah, qui savait notre langue. Birukoff lui répondit en français qu’il était Russe, quand le diable y serait. « Vous êtes surtout, lui dit-elle, dans un état qui chrétiennement nous oblige à vous garder cette nuit. Tenez-vous tranquille et couchez-vous. » On le conduisit dans un pavillon isolé où il y avait un lit et une lumière. Une demi-heure après, Birukoff avait mis le feu à son lit. L’alarme était donnée. Les domestiques coréens éteignirent l’incendie avec des seaux d’eau qui commencèrent à le dégriser. Et il s’endormit sur ses draps trempés. Le lendemain, dès la première heure, le Révérend informa le ministre de Russie qu’il avait hospitalisé un marin russe fort intempérant et qui avait failli