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d’eux : laissez-les vous regarder ; et que leur présence ne vous dérange pas. »

C’est le seul changement que je constatai à mesure que je m’éloignais de Tokyo et que je descendais à travers le Japon central si paisible et si lumineux. Une même âme paraissait animer tous les êtres éphémères. Un matin, j’entendis dans un petit temple, près de Kyoto, un paysan qui priait à haute voix ; et je demandai à mon compagnon japonais de me traduire sa prière : « C’est un fidèle du Tenrikyô, la secte shintoïste la plus florissante, me dit-il : il prie le Dieu de la Raison Céleste de protéger notre empereur et de répandre notre religion au loin et au large. Les gens du Tenrikyô sont convaincus qu’il appartient au Japon de régénérer l’humanité. » Il s’arrêta un instant et reprit avec un demi-sourire : « Du moins l’humanité asiatique ! « Ce paysan pensait comme les intellectuels de Tokyo. Son mysticisme populaire s’accordait à leurs ambitions. Une vieille poésie du XIIe siècle a dit : « Dans la capitale, pavée de pierres précieuses, les maisons des grands et des petits sont les unes près des autres, et les tuiles de leurs toits se touchent. »


II. — EN CORÉE

Vous arrivez au déclin du jour à Shimonoseki, tout saturé de la grâce des campagnes et des grèves japonaises. Le lendemain matin vous débarquez à Fusan, dans un paysage tourmenté. Des montagnes se ramifient à perte de vue, déchirées de crevasses jaunes, hérissées de rocs noirs. À peine, de temps en temps, un pin tordu vous rappelle les sites japonais. Les bourgs et les hameaux, rares et tassés, sont de la même couleur que les rocs et la terre. On aperçoit sur les routes des silhouettes bizarres, caricaturales. Dans les vallées, les rizières n’ont plus la belle ordonnance des rizières japonaises. Des paysans s’y enfoncent jusqu’au cou pour trouver un peu de fraîcheur. Leur tête et leur barbiche pleureuse émergent au milieu d’herbes sales comme un fruit aquatique avec ses racines. Vers une heure, vous êtes à Taïku, une ville de cinquante mille âmes qui ressemble à un immense village nègre ; et le soir vous pouvez entrer à Séoul, capitale du Chosen. C’est le nom que les Japonais donnent à la Corée. Il signifie Matin calme. La Corée n’est plus qu’une calme province japonaise. Au sortir de sa