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l’histoire et les divinités populaires devant les vitrines des parfumeurs où des poupées artistiques les figuraient : la dernière en date, la comtesse Nogi, y paraissait en deuil de l’Empereur, avec de larges pantalons jaunes et des voiles noirs. La galerie des modes et ses personnages de cire les auraient initiés non seulement à la toilette féminine, mais aux usages du monde. Ils auraient pénétré dans l’intimité infranchissable des familles de la haute société, le jour d’un mariage. Ils auraient vu les petites tables où sont posés le plat de carpes traditionnel, le riz, le sapin, le bambou et les statuettes de la Baucis et du Philémon japonais. L’Intermédiaire, sans laquelle aucun mariage ne peut se conclure, apporte, en les tenant à la hauteur de ses yeux, le plateau de laque et les coupes nuptiales ; et la mariée, le front ceint d’un bandeau blanc, s’avance sous ses quatre robes de soie blanche brochée d’argent et d’or. Les quatre robes valent environ douze cent cinquante francs. La mode européenne a suspendu au cou de la jeune femme un collier d’or et glissé un portefeuille dans sa ceinture.

Plus loin, les promeneurs admiraient un pavillon mis en vente pour la bagatelle de cinquante mille francs. Il était tout en bois de mûrier et d’un mûrier qui avait au moins huit cents ans d’existence. On y montait par deux marches, deux pierres non taillées, étrangement belles. Sa véranda était spacieuse ; ses murs délicatement ajourés ; ses nattes, fines et claires ; et le tokonoma, la petite alcôve surélevée d’un pied et réservée aux objets d’art, avait une pureté de lignes et une richesse de veines incomparables. Ce pavillon reproduisait exactement le style de la période de Nara. Dès le VIIIe siècle, la maison japonaise avait atteint la perfection. Mais, en fait de meubles, elle ne connaissait que des tables minuscules, de petites commodes, des coussins, des matelas. Lorsque le mobilier européen arriva, on dut pour le recevoir recourir à l’architecture européenne. Il opprimait les chambres japonaises. On est enfin parvenu à tout concilier. J’en ai trouvé un exemple exposé au Pavillon de Formose, parce que les meubles étaient faits d’une des plus belles essences de cette île. La chambre avait été élargie ; son plafond exhaussé ; le tokonoma s’élevait à hauteur d’appui ; les nattes plus minces étaient tendues comme un tapis, et les pieds de nos lourdes tables ne les creusaient plus. Simples détails, mais très caractéristiques. Et j’en pourrais citer bien d’autres !