Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souffert, au milieu des amis et des ennemis accoutumés, et sous un ciel dont elle connaît la rigueur et les caresses. »


C’est ainsi qu’Emile Deschanel, — momentanément exilé, lui, de sa patrie, la France, — achevait d’orienter la vocation de Charles de Coster, qui bientôt ressuscitait, dans son étonnante Légende d’Uglenspiegel, toutes les turbulences, et toutes les truculences, et toutes les exaltations de la Flandre du temps des Gueux. A l’Exposition de Bruxelles, en 1910, sur les murailles de la grande salle de conférences, on vit se dessiner, à côté des portraits des écrivains belges, un certain nombre de paysages de Belgique ; et ce rapprochement entre les physionomies de la terre et les physionomies des écrivains était un heureux symbole de l’histoire littéraire que ces parois illustraient. « Naguère, précisait Emile Verhaeren,


on pouvait nous assigner, dans l’immense mouvement des lettres, le même rang qu’à une province de France, soit la Bretagne, soit la Provence. Aujourd’hui, nous recevons une lumière directe et non plus oblique. Elle nous tombe d’aplomb de notre ciel, elle sort, d’un peu de notre sol, de nos coutumes, de nos lares, de nos vices, de nos héroïsmes, de nos rêves ; elle est nôtre de par sa nature et de par son origine…[1] »


Sous l’attouchement de cette lumière, Flandre et Campine, Condroz, Hesbaye, Ardenne, d’autres régions encore, ont suscité des amoureux qui sont devenus des poètes, et qui ont emprunté à leur terre maternelle les éléments d’art dont ils lui constituent parfois une nouvelle gloire[2] ; ils semblent achever de ciseler, en les détaillant, toutes les complexités de l’âme belge ; la saveur qu’ils ont les uns pour les autres affine en chacun d’eux la compréhension du coin de Belgique qui n’est pas le sien, et l’on voit un Flamand comme Eeckhoud, quelque passion qu’il mette à « s’imprégner de l’essence » flamande, donner une préface aux lointains Contes de mon village, du Wallon Louis Dulattre. Il semble que de l’accentuation même des individualités de terroir résulte, avec une plus riche

  1. Maurice des Ombiaux, la Littérature belge, son rôle dans la résistance de la Belgique, p. 26-29 (Paris, Van Oest, 1917).
  2. L’exquise Anthologie des écrivains belges, publiée par M. Dumont-Wilden (Paris, Crès, 1918), découvre ainsi ce que l’auteur appelle, p. XXIX, « le frais visage de la jeune patrie belge. »