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Guillaume de Dampierre, auquel il devait la matière de son livre. Adenet le Roi s’intitulait, avec une reconnaissante fierté, « ménestrel au bon duc Henri ; » et c’est en effet Henri III de Brabant, poète lui-même, et personnellement fort expert à traiter en courtois « jeux-partis » les choses d’amour, qui avait fait apprendre à Adenet son métier de trouvère, pour la plus grande gloire de Berthe aux grands pieds et d’Oger le Danois, dont vers 1270 Adenet chantait les aventures. Gui de Dampierre emmenait ses ménestrels jusqu’à Tunis, derrière saint Louis : ils aimaient Gui comme un « père » dont jamais ils ne retrouveraient le pareil, et dans leurs vers ils le disaient. Les bourgeoisies des bonnes villes avaient parfois, tout comme les princes, leurs trouvères, Mahieu de Gand, Pierre de Gand ; et, comme les princes, elles les éduquaient : Bruges, près de l’enclos des Carmes, avait son école de ménestrels[1].

Jacob van Maerlant, qui fut dans la seconde moitié du treizième siècle le véritable père de la littérature de langue flamande, s’agaçait et s’inquiétait, en esprit plus érudit qu’imaginatif, de l’abondance des fictions, épiques ou romanesques, qui venaient de France : après en avoir, tout le premier, traduit lui-même quelques-unes, il se tourna vers les ouvrages didactiques de langue latine, en s’écriant, dans une allitération célèbre qui fait à jamais la joie des Allemands : « Wat waelsch is valsch is, ce qui est welche est faux. » Et ses vers flamands, désormais, vulgarisèrent la science de la vie, et celle de l’histoire, et toutes les autres. Mais la France continuait d’être, pour lui, le pays d’où les connaissances humaines se répandaient sur l’Europe, et d’être, après Rome, le pays où « la couronne Grecque » resplendissait du plus bel éclat, et d’être enfin, par excellence, une terre « de chasteté et d’honneur, de discipline et de paix. » La France demeurait le peuple qu’après la Flandre, il estimait le plus. La Wallonie, d’ailleurs, admirait Maerlant, et plus de cent ans après sa mort on vit un Brugeois prendre l’initiative de traduire en français une de ses œuvres, pour satisfaire la curiosité wallonne.

Plus on avance dans l’histoire du moyen âge, et plus on constate que c’est une marque de la Belgique, et que c’est pour elle une sorte de grâce, d’abriter deux cultures qui ne se portent

  1. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, II, p. 321 et suiv.