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longuement le bénéfice et l’éclat ; et la ville de Termonde semblait symboliser cet esprit d’attirante hospitalité, lorsque, cherchant un palladium, elle l’empruntait à nos vieilles « gestes » et choisissait l’image du cheval Bayart portant les quatre fils Aymon. Nombreuses étaient les initiatives belges qui, rendant à notre littérature romane générosité pour générosité, traduisaient en français les œuvres latines, didactiques ou littéraires. « La plus ancienne traduction française en prose, que l’on possède, si l’on ne tient pas compte de la littérature purement religieuse[1], » nous vint du Hainaut, vers 1240 : elle nous révélait la Pharsale par les soins d’un certain Jean de Thuin.

La littérature française fit mieux que de traverser la Belgique et mieux, même, que de s’y poser ; sous certaines inspirations princières, elle s’y féconda, et l’on vit à la longue surgir de beaux rejetons, qui gardaient quelque chose d’indigène et qui tout en même temps enrichissaient notre propre frondaison littéraire. La vaste épopée animale dite Roman du Renart, où s’égayait et se satisfaisait la verve bourgeoise, fut une façon d’œuvre collective pour laquelle France et Flandre besognèrent : l’Ysengrinus, composé pour les Gantois, en 1147, par le prêtre Nivardus, fut un apport peut-être plus important que l’apport même de la France ; et ce fut sous une physionomie flamande, celle du Reinaert du poète flamand Willem, que le Renart, au treizième siècle, conquit en Germanie droit de cité. A l’autre pôle de la culture française, notre vaste « matière de Bretagne » dut à la Flandre quelques-uns de ses plus précieux enrichissements : c’est à la cour de Philippe d’Alsace, comte de Flandre, que notre Chrétien de Troyes, dans quelque poème anglo-normand prêté par son mécène, trouvait vers 1175 la matière de Perceval ; et le trouvère Mennessier, l’un de ceux qui plus tard mirent en branle, à la recherche du Graal, la ferveur de Perceval et l’imagination des chevaliers, travaillait pour la comtesse Jeanne, petite-nièce de Philippe. Sous les auspices de Philippe, encore, notre vieille poésie gnomique faisait un beau coup d’essai en rythmant les Proverbes au Vilain. Les trouvères Jean et Baudouin de Condé étaient les hôtes de Marguerite de Flandre ; et l’auteur du Couronnement de Renart, au milieu du treizième siècle, pleurait en vers attendris son protecteur

  1. Pirenne, Histoire de Belgique, I, p. 342.