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Charles-Quint, avaient offert le prototype de ces Belges de haut lignage qui, lors même que l’étranger tenterait de les apprivoiser par des distributions de Toisons d’or, allaient personnifier l’esprit d’indépendance nationale. Ils se multiplient sous Philippe II ; ils sont deux cents, en 1566, pour jurer le compromis des Nobles et pour accepter comme une gloire le nom de Gueux. La tyrannie espagnole tient tête ; avec le duc d’Albe, elle implante d’atroces méthodes de répression ; elles échouent. « On ne peut faire ici ce qui se fait à Naples et à Milan, » explique à son successeur Requesens un des conseillers du gouvernement[1]. La révolte devient contagion ; les provinces éprouvent le besoin de se dire unies, d’arborer des devises comme Viribus unitis, Belgium fœderatum, Concordia res parvæ crescunt. il semble un instant que derrière le Taciturne, catholiques et protestants ne fussent qu’un pour chasser l’Espagne. Mais voici que les catholiques des régions wallonnes s’aperçoivent qu’en cette aventure leur foi catholique est mise en péril ; et bientôt les Flandres constatent qu’à leurs dépens les riches provinces du Nord, Hollande et Zélande, conquièrent tout doucement une suprématie commerciale. Les Belges, alors, se resserrent sur eux-mêmes, se détachent de cette confédération hollandaise qui aspirait à mettre leurs consciences hors de l’Église et tendait à transporter hors du sol belge le centre de gravité de leur vie : ils s’accommodent de la gérance espagnole, telle que Farnèse la ramène, et s’exaltent à l’idée que l’archiduc Albert, gendre de Philippe II, et sa femme Isabelle, vont fonder à Bruxelles une dynastie nationale, à jamais détachée du tronc madrilène.

Mais Albert meurt sans enfants : la déception est grande ; la Belgique, derechef, est rattachée à la couronne d’Espagne ; et puis, après 1715, elle tombe comme une sorte de bien patrimonial sous la souveraineté personnelle des Habsbourg de Vienne, sans d’ailleurs se confondre avec l’Empire, et en gardant à Bruxelles un corps diplomatique spécial, accrédité près du gouverneur général. Un siècle de malheur : c’est ainsi que les historiens belges qualifient cette ingrate période. La Hollande ravale les pays belges au rôle d’État tampon : à Munster, en 1648, taillant à vif dans la lisière belge, elle exige, sur les rives d’Escaut et sur les rives de Meuse, des positions stratégiques et

  1. Pireane, Histoire de Belgique, IV, p. 54.