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marchands ; elles mirent en émoi les violes de leurs trouvères, flamands ou français, pour fêter la journée de Worringen, où le duc Jean, en 1288, acheva la défaite de l’Allemagne. Ainsi régnait au loin sur d’autres âmes belges, par l’admiration qu’il inspirait, le beau duc Jean Ier, « fleur de la chevalerie, ornement de l’univers, joie du monde. »

Car il y avait là-bas, dès cette époque, une opinion populaire, qui déclenchait la marche de l’histoire. Elle était assez forte en Flandre, dès le XIIe siècle, pour faire prévaloir les droits de Thierry d’Alsace sur ceux de Guillaume de Normandie, protégé du roi de France ; assez forte, encore, au début du XIVe, pour mobiliser contre la chevalerie de Philippe le Bel, dans les plaines de Courtrai, les bâtons ferrés de la plèbe flamande, et pour faire accourir à la rescousse, des lointains bords de Meuse, Guillaume de Juliers et Gui de Namur. Elle était assez forte en Brabant, et assez intimement unie à la dynastie indigène, pour amener les ducs à se présenter comme les protecteurs, comme les avoués, de la petite patria brabantensis, d’une patrie qui leur était commune avec leur peuple. Elle était assez forte dans le pays de Liège pour contraindre les princes-évêques, généralement étrangers, à poursuivre, lorsqu’il le fallait, les agrandissements territoriaux nécessaires à la vie de la principauté[1].

Le XIVe siècle belge est quelque chose d’unique : on y voit, à certaines heures et sur certains points, cette opinion populaire devenir souveraine de ses souverains eux-mêmes, régler, par-dessus eux, les destinées du sol et même le jeu des alliances, et se faire courtiser par les souverains du dehors, Angleterre et France, comme une puissance autonome. Jacques van Artevelde, le « sage homme de Gand, » apparaît à distance comme un messager de l’idée belge et comme un lointain réalisateur de l’unité : quelques années durant, sous ses auspices, Gand fut comme la capitale de tout le pays. Les alliances ébauchées en 1304 et 1331 entre Brabant et Flandre, en 1328 entre Flandre, Hainaut et Hollande, parurent se systématiser, se consolider. « Chil deus pays, déclarait au sujet de la Flandre et du Brabant le nouveau traité de 1339, sont pleins de communauté de peuple ki soustenir ne se peuvent sans marcandise[2] ; » la

  1. Pirenne, Histoire de Belgique, II (2. édit.), p. 137, 145, 154. Bruxelles Lamertin, 1908.
  2. Pirenne, Histoire de Belgique, II (2e édit.), p. 120.