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d’une énigme, parce qu’elle sent qu’il ne sera pas, qu’il ne veut pas être un vaincu. C’est une psychologie sommaire, brutale : nous la verrons se traduire en actes ; et puis en face d’elle, nous observerons l’imbrisable force contre laquelle elle achoppe, l’unité belge. Et là où l’Allemagne parle d’énigme, nous saluerons un de ces faits qui créent un droit : un acte de volonté, lucide et claire, qui porte Flamands et Wallons à demeurer unis.


I

Les avances de l’Allemagne sont parfois plus odieuses que ses atrocités. On l’entendit, au début de la guerre, calomnier la Belgique à la face du monde : soldats belges, civils belges, prêtres belges, étaient, tous ensemble, inculpés d’assassinats. Et puis on la vit inaugurer une politique d’épuisement économique, spolier la Belgique de ses ressources et de ses bras, exporter le fruit du travail, déporter le travailleur ; on la vit s’évertuer, avec une ponctualité féroce, à créer là-bas la misère, et s’y montrer aussi savante pour appauvrir, pour affamer, pour dépeupler, pour être en un mot productrice de ruine, qu’elle s’était naguère montrée savante, chez elle et hors de chez elle, pour créer, à son profit, toujours plus de richesse[1]. Mais les mêmes fourgons qui portaient au-delà des frontières belges le flot des calomnies et le triste cortège des civils devenus esclaves ramenaient une nouvelle équipe d’Allemands ; et ceux-ci tendaient les bras, arboraient le sourire, affectaient des gestes de fraternité.

Ils s’adressaient à tous les Flamands, — à ceux du moins qui n’étaient pas déportés[2], — et ils leur disaient en substance : « Vous êtes pour nous, Flamands nos frères, des Allemands de l’étranger, Deutschen im Auslande. Notre chancelier Bethmann a parlé des « voies douloureuses » où vous engagea l’histoire, et qui vous écartaient de nous. Il vous a donné devant le parlement de l’Allemagne la parole de l’Allemagne, et vous savez ce que vaut cette parole lorsque lui, Bethmann, en est l’interprète. Il a promis que « l’Allemagne n’abandonnerait

  1. Mélot, La propagande allemande et la question belge, (Paris Van Vest, 1917).
  2. Dans l’espace de neuf jours, en octobre 1916, il n’y eut pas moins de 15 000 Flamands déportés (Passelecq, Les déportations belges à la lumière des documents allemands, p. 8 ; Paris, Berger-Levrault, 1917).